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En Haïti, la faillite agricole est contre-nature

vendredi 27 janvier 2006, par Patrick ALLEYN

Les campagnes haïtiennes sont ruinées par la déforestation, l’érosion et la désertification. Autrefois largement exportateur de produits agricoles, Haïti doit aujourd’hui importer ses aliments. Malgré la détermination des militants du secteur rural, un plan national de sauvetage des terres arables fait défaut.

« Dans le Plateau central d’Haïti, la montagne était tellement boisée qu’un éleveur pouvait y perdre une vache », se souvient Chavannes Jean-Baptiste. Aujourd’hui, ce militant rural de 58 ans voit sa terre natale dépérir.

« Je suis originaire de Bassin-Zim, un lieu touristique qui était très beau... Mais ça l’est moins chaque jour », constate-t-il avec regret. Une cascade d’eau se déverse dans le réservoir formant une piscine naturelle : « Le bassin est désormais ensablé. [...]. Dans les montagnes de Bassin-Zim, eh bien ! les arbres n’existent plus. Même les oiseaux que je connaissais quand j’étais enfant, on ne les voit plus », déplore cet agronome qui a consacré sa vie aux luttes paysannes et au reboisement d’Haïti.

Récipiendaire en 2005 du Prix de la Fondation Goldman pour l’environnement, Chavannes Jean-Baptiste a fondé le Mouvement Paysan de Papaye (MPP), il y a 32 ans, pour enseigner l’agriculture durable dans les campagnes. L’organisation canadienne Développement et Paix soutient cette association qui a repiqué 20 millions de plants ou d’arbres fruitiers pour fixer les sols et ainsi combattre la désertification.

M. Jean-Baptiste s’inquiète pour l’agriculture de son pays, autosuffisant au plan alimentaire jusqu’en 1972. Il en appelle au sauvetage de l’environnement d’Haïti, déboisé à 98 % à cause de l’usage du charbon de bois comme combustible.

Haïti importe son riz et... son sucre !

Camille Chalmers, lui, s’emporte chaque fois qu’il aborde la question de la dépendance alimentaire d’Haïti. Le secrétaire exécutif de la Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA), un partenaire de l’ONG Alternatives, dénonce la déréglementation du marché et « les politiques brutales de libéralisation ayant sapé la capacité de l’agriculture nationale à nourrir la population ».

« Maintenant, nous importons de plus en plus de denrées des États-Unis et 58 % de notre consommation alimentaire dépend des importations, même le sucre », s’indigne cet intellectuel de terrain, à la tête d’un réseau d’une dizaine d’organisations populaires.

« En 1995, le Fonds monétaire international (FMI) a contraint Haïti à faire passer ses taxes douanières sur le riz de 35 à 3 %, favorisant ainsi le dumping du riz américain », subventionné à 72 %. Les 50 000 producteurs de riz haïtiens ont été mis à genoux, conclut M. Chalmers.

Oxfam International dénonce la situation : « Aujourd’hui, trois plats de riz sur quatre consommés en Haïti proviennent des États-Unis. Les bénéfices de Riceland Foods of Arkansas, la plus grande usine de riz au monde, ont fait un bond de 123 millions de dollars en 2003 » grâce, notamment, aux exportations vers Haïti et Cuba.

Montagnes surpeuplées

En Haïti, la majorité des terres est dispersée en exploitations de petite dimension sur lesquelles travaillent des paysans sans titre de propriété. « Si vous risquez d’être chassé au bout de six mois, vous n’avez aucun intérêt à planter des arbres qui seront prêts dans six ans », remarque Camille Chalmers. « Sans sécurité foncière, les paysans ne sont pas motivés à investir. C’est pourquoi le mouvement social haïtien revendique une réforme agraire. »

En outre, souligne le porte-parole de la PAPDA, les plaines sont sous-peuplées, en Haïti, et les montagnes, surpeuplées. « C’est un héritage du XIXe siècle, dit-il. Les planteurs utilisaient les plaines pour les denrées d’exportation. Alors, l’agriculture vivrière a dû se réfugier sur des terres de moins bonne qualité ou dans les montagnes qui ne sont pas normalement cultivables. »

« À cause de la surpopulation dans les montagnes, les paysans arrachent les plants de café - une culture pourtant adaptée à la montagne - pour les remplacer par des cultures alimentaires, comme l’igname, la patate, le maïs. Ces plantations de cycle court sont très érosives, nous apprend M. Chalmers. Elles affectent la terre arable qui part vers la mer. Les zones de pente devraient être des zones réservées de boisés. Ces terres s’appauvrissent et les bassins versants s’érodent. Alors, la dégradation des montagnes menace au surplus l’agriculture en plaine ! Chaque année, 15 millions de m3 de sol sont emportés à la mer », s’inquiète Camille Chalmers.

Associer les arbres au milieu de vie

Michel Boulay coordonne, dans le bassin de la rivière de Nippes, dans le sud du pays, un projet d’agroforesterie d’Oxfam-Québec. Il raconte : « Lors de la séparation du territoire avec la République dominicaine, Haïti a hérité de pratiquement toutes les montagnes de l’île ». Il faut reboiser ces montagnes, mais, croit-il, en faisant participer les paysans grâce à une approche plus large de développement local.

« Des projets de reboisement ont eu cours dans les années 1990, soutenus notamment par la USAID, l’agence de coopération des États-Unis », évoque Michel Boulay. « On a engagé des milliers de travailleurs pour lutter contre le chômage - on appelle ça des programmes à haute intensité de main d’œuvre. » Mais après, les gens, poussés par l’extrême pauvreté et l’absence d’électricité dans plusieurs régions, recommencent à couper les arbres pour en tirer du charbon de bois. « Il faut plutôt associer les arbres au milieu de vie des paysans », croit-il.

Dans le projet de Nippes, tout comme dans les projets inspirés par Chavannes Jean-Baptiste plus au nord, on encourage les familles à planter des arbres fruitiers, qui vont générer des revenus, et d’autres variétés qui vont protéger les potagers, par exemple. Les arbres vont couper les vents. Les racines vont garder l’eau dans la terre, empêcher l’érosion des sols et augmenter le rendement de la terre.

« Le projet de Nippes, c’est ce qu’il faut faire, plaide Camille Chalmers, mais il ne faut pas juste des petits projets ici et là. Il faudrait une mobilisation avec une stratégie globale. »

Chavannes Jean-Baptiste travaille aujourd’hui comme conseiller sur des projets de pépinières dans la région des Gonaïves, ville submergée par l’ouragan Jeanne en septembre 2004. Les montagnes dénudées - véritable paysage lunaire - n’avaient pu retenir l’eau des pluies torrentielles qui s’étaient déversées sur la ville.
« Quand je traverse la Savane désolée pour me rendre aux Gonaïves, dit-il, il y a la poussière qui vous couvre, ça me rappelle le Sahara au Burkina Faso. Si on ne met pas l’environnement en priorité, tous les autres investissements seront vains, car que ferons-nous si nous n’avons plus de pays dans 50 ans ? »


Pauvreté et déforestation

 Près de 80 % de la population haïtienne n’a pas accès à l’électricité.
 L’utilisation du bois et du charbon de bois totalise 80 % de la consommation énergétique du pays. Elle est aussi la principale cause de la déforestation en Haïti. Les augmentations des prix du pétrole de 2005 ont augmenté cette tendance.
 Entre 10 et 20 millions d’arbres sont coupés par année.
 Les forêts ne représentent plus que 1,4 % du territoire. En 1950, elles couvraient 25 % de la surface du pays.
 Le taux de déforestation annuel est de 0,7 %.
 Le revenu moyen des paysans haïtiens est de 115 $ par an.
 L’ouragan Jeanne a causé 1000 morts, principalement dans la région des Gonaïves.

Reportage réalisé avec la contribution financière du gouvernement du Canada, par l’entremise de l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

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