Le premier scrutin libre et transparent en République démocratique du Congo s’avère être un casse-tête logistique incroyable. Alors que le pays se relève très mal d’une guerre qui a provoqué près de 5 millions de mort depuis 1998, plus de 25 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, dans un pays vaste comme le Québec, mais dépourvu de toute infrastructure. Pourtant, en décembre 2005, la Commission électorale indépendante (CEI) avait réussi à tenir, dans une désorganisation téméraire, un premier référendum pour entériner la nouvelle Constitution. Malgré un recensement de dernière minute et une campagne d’éducation bâclée, 60 % des électeurs avaient répondu à l’appel.
Pour les élections de juillet, 33 candidats ont été retenus pour les présidentielles, ainsi que 9 632 candidats pour les 500 sièges de députés. Au total, 267 partis politiques. Une majorité de candidats représentent de nouveaux partis ou de coalitions nées de la dislocation d’anciennes. Certains partis n’ont vu le jour que quelques mois seulement avant la mise en route du processus électoral. Les programmes politiques des uns et des autres sont mal connus.
Bien que formellement la campagne électorale ne doive commencer que le 29 juin, les partis et candidats les plus fortunés ont déjà entrepris de se faire valoir. Dans cette catégorie se trouvent le président sortant, Joseph Kabila, et trois des quatre vice-présidents : Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa, anciens chefs des rébellions soutenues par l’Ouganda et le Rwanda, et Arthur Zahidi Ngoma, ancien rebelle reconverti en opposant politique. On retrouve aussi d’anciens mobutistes dont Pierre Pay-Pay, ancien gouverneur de la Banque centrale et ministre des Finances sous Mobutu, et Nzanga Mobutu, le fils du Maréchal dictateur. Les uns disposent de canaux de télévision, les autres de stations de radio ou de journaux.
Mais les menaces persistantes pour la stabilité du pays sont plus pernicieuses. L’un des anciens groupes rebelles, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) de Azarias Ruberwa, est impopulaire et risque de perdre une partie importante de son pouvoir au lendemain du scrutin. Plusieurs observateurs prédisent que le RCD, qui contrôlait autrefois plus du tiers du pays, puisse passer du statut d’acteur national majeur à celui de petit parti. Cette probabilité est étroitement liée aux combats qui se déroulent toujours dans l’est et le nord-est du pays, où des éléments contestataires du RCD, dont le tristement célèbre Laurent Nkunda, ont à plusieurs reprises attaqué des populations civiles, l’armée nationale congolaise ou encore les troupes de la Mission de l’ONU au Congo (MONUC).
Un autre important parti, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, continue lui aussi de laisser entendre qu’il ne se voit pas autrement qu’au pouvoir. Les rumeurs se multiplient quant à d’éventuels préparatifs post-défaite : le MLC serait en train de réorganiser ses forces armées.
Étienne Tshisekedi exige quant à lui de nouveaux accords de transition. Ceux-ci, prolongés de douze mois l’année dernière, viennent à terme le 30 juin, rendant ainsi illégitimes, aux yeux de Tshisekedi, les élections de juillet. Le chef de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) multiplie les démonstrations de force à Kinshasa pour obtenir de nouvelles négociations.
Enfin, le scrutin n’est toujours pas préparé convenablement, bien que la CEI affirme le contraire. Le travail d’éducation débute à peine, avec quelques programmes confinés à la capitale et dans les grands centres. Les mesures de précaution contre d’éventuelles fraudes restent minimales ou même hypothétiques, alors que des élections truquées pourraient replonger le pays dans le chaos.
La communauté internationale, qui finance l’essentiel des 430 millions prévus pour le scrutin, semble pourtant minimiser les risques de déstabilisation. Le porte-parole de la MONUC, Jean-Tobie Okala, précisait récemment que son institution « juge que le processus électoral congolais est plus que jamais irréversible ».
« Les élections sont nécessaires, mais si elles ne se déroulent pas correctement, les conséquences pourraient être très graves », s’inquiète Jean-Claude Mwepu, directeur d’Alternatives à Kinshasa. Si la population ou les forces qui s’opposent ici concluent que le changement par les urnes n’est pas satisfaisant, tous les recours pour contester les résultats deviendront possibles. Voilà pourquoi il incombe de garantir que ces premières élections multipartites depuis 1965 soient une étape décisive mettant fin au trop long conflit congolais.