Éditorial : Alizés, avril 2009

lundi 15 juin 2009, par Delphine Melanson, Fanny-Pierre Galarneau, Malorie Flon, Parker Mah, Violaine Brisebois-Lavoie, Xavier Leroux

Photo : Parker Mah
Photo : Parker Mah

Depuis la fin des années 1990, les acteurs du développement international observent un vaste mouvement de refonte du système d’attribution de l’aide canadienne. Les programmes d’aide ont subi d’importantes restructurations avec l’adoption d’un modèle de gestion axée sur les résultats (GAR). Cette tendance remet en cause la légitimité des
programmes jeunesse, dont les objectifs ne sont pas toujours facilement mesurables.

Les programmes d’aide sont étrangement moins transparents depuis 3 ans. Les engagements du gouvernement à doubler l’aide canadienne d’ici 2010 ne sont pas encore vérifiables aujourd’hui [1] et plusieurs programmes sont remis en question, dont les programmes jeunesse de coopération internationale. De plus, depuis quelques années, on observe une nouvelle tendance de politique étrangère canadienne. En rapprochant défense, diplomatie et développement, dans une approche intégrée appelée « 3D », le gouvernement canadien a pris un tournant militariste aux conséquences multiples pour l’attribution et la gestion des budgets d’aide au développement.

Actuellement, une étude menée par le Centre de recherche pour le développement international (CRDI [2]) tente de répondre à la question : à qui profitent les stages de coopération internationale ? Pour certains, ces stages servent davantage au développement personnel des stagiaires canadiens et à étoffer leur curriculum vitae. Selon nous, anciens stagiaires, il faut souligner que ces programmes jeunesses de coopération dans les pays du Sud permettent d’atteindre d’autres objectifs importants : le partage des valeurs de justice sociale et de démocratie dans le monde, la mise en place de partenariats entre des organisations luttant pour des causes communes, ainsi que la formation de jeunes Canadiens plus conscients des enjeux globaux et mieux outillés pour répondre aux défis du XXIe siècle. Les évaluateurs de programmes doivent prendre en considération ces objectifs dans leur approche de GAR.

S’aider soi-même et aider les autres

L’étude du CRDI ne sera pas complétée avant 2011, mais quelques constats ont déjà été diffusés. En premier lieu, nous assisterions à une transformation des motivations des stagiaires et des bénévoles dans leur participation aux programmes de stage. Au cours des dernières années, on remarquerait ainsi le passage d’une justification d’intérêt en termes de convictions sociales et humanitaires, à l’expression d’un intérêt proprement personnel. Un désir d’engagement social pour le développement international serait subordonné à l’acquisition d’une première expérience professionnelle. Or, pourquoi la volonté d’enrichir son curriculum vitae d’une expérience de bénévolat outre-mer serait-elle forcément incompatible avec celle de s’engager envers une meilleure justice sociale globale ? Pourquoi un jeune choisissant de ponctuer son parcours d’un stage au sein d’une organisation communautaire étrangère, plutôt qu’au sein d’une entreprise, se mériterait-il le titre d’opportuniste plutôt que d’humaniste ?

Selon nous, il est également important de distinguer les programmes de bénévolat professionnel des programmes jeunesse, en fonction de leurs objectifs respectifs. Les programmes de bénévolat professionnel visent l’efficacité de l’aide, tandis que les programmes jeunesse visent aussi l’acquisition d’une expérience dans un milieu multiculturel. Cet accent sur la coopération internationale comme expérience formatrice est officiellement reconnue dans les politiques des programmes ministériels. Elle ne constitue pas un motif caché, susceptible de diminuer la portée humaniste de tels stages. Ceux-ci visent le partage des connaissances entre les peuples et l’occasion pour les stagiaires de sensibiliser leur entourage aux questions de développement à leur retour de l’étranger. Les stages permettent ainsi aux Canadiens de mieux comprendre les rouages
socio-politiques de différents pays et cultures. Certains stages, comme ceux de Québec sans frontières, comprennent même un volet réciprocité qui permet à des partenaires du pays d’accueil de venir faire un stage au Canada.

La mesure du bénéfice réel

Il est vrai que l’expérience de certains stagiaires est empreinte d’un sentiment d’insatisfaction et d’impuissance. Plusieurs témoignages disent que les stages n’atteignent pas toujours leurs objectifs en termes d’efficacité, notamment lorsque des projets restent inachevés ou sans suite après le départ des stagiaires. À notre avis, leur déroulement n’en constitue pas moins un processus important dans le partage des connaissances entre les peuples. La durée trop courte de l’affectation à l’étranger est souvent ciblée comme la cause principale du manque de résultats. Plus un stagiaire reste longtemps sur le terrain, plus il a de chance de s’intégrer à sa communauté d’accueil et d’y mener un projet à terme. Les meilleures réalisations découlent donc également de la faculté d’intégration du stagiaire. Aussi, dans la mesure où l’un des objectifs primordiaux des programmes jeunesse est la création de partenariats et l’intégration d’un jeune dans une communauté étrangère, nous croyons qu’un stage non réussi renvoie à un échec d’intégration et/ou de mauvaise préparation. Un tel échec est susceptible de renforcer les stéréotypes négatifs chez les uns et les autres, entraînant des ressentiments plutôt qu’une meilleure connaissance et compréhension interculturelles. Nous avons tous déjà entendu parler de telles mauvai- facile. Elle requiert une habileté d’adaptation frisant parfois l’abnégation. Elle relève d’un équilibre entre initiative et lâcher-prise. Or, les conditions d’atteinte de cet équilibre ne peuvent pas toujours être réunies en raison de la personnalité du stagiaire ou d’une crise vécue sur le terrain, mais aussi parfois en raison d’une formation pré-départ insuffisante ou inadéquate.

Plutôt que de remettre en question le principe même des stages, l’examen des situations d’échec devrait guider les organismes concernés vers l’amélioration de la préparation technique et psychologique offerte aux stagiaires. Cela permettrait d’éviter les attentes démesurées de part et d’autre, et de mieux outiller les participants pour affronter les défis d’un projet de stage de courte durée. Lorsqu’un stagiaire canadien réalise qu’il n’a rien à enseigner à des collègues étrangers déjà forts compétents dans leur domaine, il y a toujours d’autres partis à tirer de la situation. Le coopérant peut notamment s’investir dans différents projets d’intérêt local, plutôt que de se sentir condamné au statut d’observateur ou de touriste. Rappelons que les grandes réalisations des stages de coopération sont le partage des idées et des manières de faire ; le soutien dans l’action et la recherche de valeurs communes (la démocratie, l’égalité des sexes, le partage des ressources économiques, la lutte contre la corruption, la sensibilisation aux enjeux environnementaux et la lutte contre les préjugés interculturels ou coloniaux). Qu’il s’agisse du transfert de nouvelles technologies, du développement organisationnel, des projets de compostage et d’agriculture urbaine, de la défense des droits politiques, ou encore du soutien aux droits des femmes, une présence canadienne auprès d’organisations du Sud leur permet par ailleurs de sentir soutenues dans certains dossiers localement tabous ou marginalisés.

Nous espérons que ces réflexions permettent de nuancer les conclusions hâtives qui présentent les programmes de stages internationaux comme une vaste tromperie aux frais des contribuables canadiens. À notre avis, la connaissance de l’autre et l’échange coopératif sont une mission assez importante pour qu’on évite de s’en laver les mains. Lorsqu’un jeune s’intègre à une communauté d’accueil et contribue à sa vie et à son développement, il s’agit d’une profonde victoire dans la lutte globale contre les préjugés culturels et raciaux. Il importe alors d’inspecter fréquemment les rouages de ces programmes, afin d’en assurer le bénéfice réel pour tous les acteurs concernés.


[1Selon une note d’information du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) : « aucun renseignement précis sur les activités d’aide du Canada n’a été publié depuis 2006. Au moment de rédiger le présent commentaire [avril 2008], l’ACDI n’avait toujours pas publié ses données statistiques officielles sur l’aide depuis 2005-2006, ce qui remonte pourtant à trois exercices. Les données de l’Agence ne sont donc pas présentées sous la forme d’une série chronologique statistique qui permettrait à un tiers d’examiner les dépenses du Canada au titre de l’aide internationale dans les trois dernières années pour vérifier si le gouvernement a bel et bien tenu
ses promesses comme il le prétend. » www.ccic.ca/f/docs/002_aid_2008-04_cida_estimates_2008-09.pdf

[2« Creating Global Citizen ? The impact of Learning/Volunteer Abroad Programs », Une étude co-dirigée par Rebecca Tiessen, assistante professeur du programme de 2e cycle d’Études en développement international de l’Université Dalhousie à Halifax et Barbara Heron, professeure associée au Département de l’école en travail social de l’Université de York à Toronto.

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Crédits Alizés, volume 2, numéro 2

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