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Blogue des stagiaires

Eau, nourriture et réseaux sociaux

© Yura Fresh sur Unsplash
Ce matin, en me levant, les yeux en plein duel contre la lumière de l’écran de mon iPhone, j’ai fait défiler le fil d’actualité Facebook en mode automatique.

 

Faits saillants : mon amie du secondaire a ouvert son centre d’extension de cils. Pour 150$, elle peut vous rallonger les cils et vous faire une mini-injection de botox en complément. Le tatoueur, que j’ai ajouté comme ami il y a 5 ans et que j’ai sollicité à multiples reprises via Messenger pour avoir un tatouage de fleur fanée reflétant ma crise existentielle de jeune adulte et qui ne m’a jamais répondu, est au Mexique en ce moment en train de vivre sa « best life ». Une connaissance de connaissance, enceinte depuis 18 mois en années Facebook, a finalement accouché. On a eu le droit à une photo prise avec une perche à égoportrait sur le lit d’hôpital, quelques minutes après le premier souffle du nouveau-né. J’ai ensuite lu les nouvelles, rien d’aussi joyeux que la vie de mes « amis ». Dans une ère où l’information est à portée
de main, on devient sélectif, voire capricieux quant à la qualité de nos sources. Sélectif et capricieux dans le sens qu’on tend à rester dans une bulle protégée par ces fameux algorithmes ayant un seul et unique objectif : ne jamais nous brusquer. Nos appareils ne sont pas devenus seulement intelligents, ils nous ont également emprunté notre vertu de politesse. Mon intellect, ma vision du monde et mes attentes sociales sont constamment bercées au rythme de la Sainte Trinité : Facebook, Instagram, Twitter.

L’utilisation de mon téléphone et de diverses applications se résume à rester en contact avec mes proches, avoir un faux sentiment d’être socialement active et finalement rester informée sur les sujets qui me passionnent (santé, bien-être, alimentation, socio-politique, spiritualité, blogs sur l’élevage de fourmis etc.). C’est dans le cadre de mon stage PSIJ avec le partenaire d’Alternatives, Access Now, une organisation qui lutte pour les droits humains et la sécurité numérique, que j’ai été confrontée à cette réflexion sur la véritable relation que nous avons avec nos téléphones. J’ai pour mandat d’effectuer une recherche sur les vulnérabilités des migrant·es dans le monde virtuel afin qu’Access Now puisse mettre en place un service facilitant l’accès et l’utilisation des technologies de l’information et des communications lors du processus de migration.

Je suis présentement à San José au Costa Rica, et sans vous mentir, les premiers jours sans accès à la 3G pour me repérer ont été « légèrement » stressant. Je devais attendre l’accès à une connexion Wifi pour sentir que j’existe. Je devais informer mes proches, me déplacer et utiliser Google Translate. Je reconnais que ma situation est incomparable à celle d’un·e migrant·e. À mon échelle, je me suis quand même retrouvée déstabilisée par la proximité à mes repères du quotidien. Je me suis rendue compte que mon téléphone n’est plus un simple gadget de distraction, mon téléphone est telle une synapse me reliant autant au monde virtuel qu’au monde physique.

Il ne faut pas sous-estimer l’avènement des technologies numériques et l’impact qu’elles ont sur nos réalités humaines. Toutes les sphères de nos vies, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, sont à
présent reproduites dans la dimension numérique.

L’Internet est devenue une infrastructure, tout comme l’eau, l’électricité et le chauffage. C’est presque un besoin de base. Au point, que même lors d’une épreuve aussi difficile que la migration, les migrant·es se fient tout autant à Google Maps, WhatsApp et Facebook lors de leur voyage. Les camps de réfugié·es offrent des stations pour recharger les téléphones ainsi que de l’eau et de la nourriture.

L’épreuve de la migration comporte énormément de défis, d’obstacles et de dangers. Rien de nouveau. Étant en mode survie, le·la migrant·e se voit privé·e d’un confort souvent pris pour acquis par nos sociétés occidentales. Cependant, l’utilisation de smartphones et des réseaux sociaux s’est avérée, pour plusieurs, être indispensable pour arriver à destination. L’accès à des cartes géographiques et à la communication avec leurs proches leur permet d’être moins vulnérables face aux dangers et aux contrebandiers qui, trop souvent, prennent avantage de leur situation. Pourtant les mêmes traitements et injustices sont rencontrés sur la sphère numérique. Les téléphones des migrant·es sont maniés avec moins de discrétion et surveillés par les forces autoritaires.

Il est ici question de vie ou de mort. Leur dignité humaine étant déjà contrainte, il est important d’assurer les droits et libertés sur Internet. Les migrant·es, faisant face à des incertitudes extrêmes, retrouvent un sens de sécurité lorsqu’ils·elles peuvent communiquer et accéder à de l’information. En fouillant leurs téléphones et en ayant accès à leur intimité, les autorités ne font que renforcer la répression existante, étant à l’origine du problème.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a mis en place l’application MigApp offrant des informations fiables, un accès aux programmes et services de l’Organisation, des services de transferts d’argent, une assistance permettant de regrouper les familles et d’autres moyens d’assurer la sécurité des migrant·es. On espère voir à l’avenir de nouvelles plateformes et une plus forte contribution du numérique pour assister les migrant·es tout au long de leur voyage. En attendant, il est important de reconnaître le pouvoir des réseaux sociaux et des sources d’information qui nous sont disponibles. Nous en usons toutes et tous de manières différentes dépendamment de nos besoins ou de nos manques.

Access Now veut offrir aux migrant·es ce sentiment de sécurité et de liberté en mettant en place un service d’assistance et des outils (cryptage de courriels, VPN, etc.) leurs permettant des trajectoires migratoires à l’abri de la violence. De telles initiatives encourageraient une égalité et une justice technologiques.

L’utilisation que nous faisons des réseaux sociaux est souvent déterminée par notre âge, notre localisation, notre statut social, nos rêves, nos insécurités ou nos aspirations. Nos fils d’actualité peuvent parfois donner une impression de paix et de stabilité, selon nos algorithmes et bulles de filtrage ; il est dès lors d’autant plus important de pouvoir reproduire notre esprit solidaire dans la dimension numérique.