Douanes Canada sous enquête

samedi 1er février 2003, par Jason GONDZIOLA

Une importante décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a conduit Douanes Canada à adopter un projet pilote visant à déterminer si l’Agence des douanes fait preuve de discrimination en utilisant la race comme critère pour déterminer qui présente un danger potentiel aux frontières canadiennes. Cette pratique, pour le moins controversée, est mieux connue sous le nom de « profil racial ».

Selon Kent Roach, professeur à l’Université de Toronto spécialisé en droit constitutionnel, d’un point de vue strictement légal, « il est question de "profil racial" [tiré de l’expression anglaise racial profiling] lorsqu’une personne est mise sous enquête et que les soupçons sont uniquement fondés sur sa religion, sa race ou encore son pays d’origine ».

La CCDP s’est penchée sur cette question à la suite d’une plainte déposée par Selwyn Pieters, un étudiant en droit de Toronto. Le 24 mai 1999, M. Pieters, a été détenu pendant cinq heures par les agents de Douanes Canada, étant soupçonné de possession de drogues. Fait à noter, Selwyns Pieters était la seule personne noire à bord du train et a été le seul passager sur 70 à être interpellé par les autorités canadiennes à la frontière.

M. Pieters a par la suite déposé une plainte devant la CCDP qui a été jugée recevable et devait être entendue par le tribunal. Or, une entente hors cours est intervenue avant audience et Douanes Canada s’est vue dans l’obligation de verser un dédommagement à l’étudiant ; la somme du règlement est demeurée confidentielle. La Commission a également sommé Douanes Canada de prendre immédiatement des mesures afin de contrer les pratiques de « profil racial ». Ainsi, des experts en lutte contre le racisme ont été engagés afin de sensibiliser les douaniers à cette question. Un projet pilote de compilation de statistiques basées sur la race et l’origine ethnique des personnes interpellées a également été mis sur pied afin de déterminer si les pratiques sont effectivement discriminatoires. De plus, Douanes Canada doit désormais informer systématiquement chaque personne interpellée de la nature des soupçons qui pèsent sur elle.

La pointe de l’iceberg

Kent Roach se réjouit de l’importance et la rapidité de ces initiatives, mais rappelle que ce cas précis ne représente qu’une infime partie du problème de discrimination raciale au Canada. « La Commission ne prendra connaissance que des cas flagrants, ce qui ne représente que la pointe de l’iceberg », affirme le professeur.
« À mon sens, cette décision contribue à améliorer sur papier la situation qui prévaut au Canada bien que le racisme systématique soit toujours bien présent dans les faits », soutient pour sa part Ziyaad Mia, une avocate de Toronto, membre de l’Association des juristes musulmans. « Qu’il s’agisse des juges, des avocats ou encore des policiers, il est clair qu’un préjugé défavorable existe encore », ajoute-t-elle.

Fin 2001, dans le cadre des audiences publiques tenues devant le Parlement et le Sénat, Ziyaad Mia et Kent Roach ont clairement démontré que la loi C-36 portant sur la lutte antiterrorisme au Canada ouvrait la voie à une forme très sévère de « profil racial ». Point de vue d’ailleurs partagé par un comité sénatorial qui a recommandé qu’une clause antidiscriminatoire soit enchâssée dans la loi, ce sur quoi les parlementaires devraient se pencher cette année.

Dans le contexte politique actuel, l’avocate et le professeur croient que les Musulmans sont plus que jamais susceptibles d’être victimes de discrimination et d’intimidation de la part des représentants de la loi. « Une pratique on ne peut plus déloyale, soutient Kent Roach. Le profil racial demeure une stratégie inefficace et discriminatoire pour lutter contre le terrorisme », croit-il. Selon lui, cette mesure n’aura pour effet que de stigmatiser et stéréotyper les gens en faisant peser sur eux des soupçons criminels uniquement fondés sur la couleur de leur peau, leur lieu de naissance ou leurs croyances.

Revoir les critères

M. Roach soutient qu’il faut éliminer complètement les critères fondés sur la race ou sur l’origine ethnique et établir de vraies normes objectives de lutte au terrorisme : « En matière de transport aérien, le Canada doit se doter des meilleures technologies de détection et soumettre systématiquement les bagages de tous les passagers aux mesures de contrôle. Ces mesures devront également s’avérer efficaces en plus d’être rapides. »

Pour Ziyaad Mia, l’éducation demeure la seule façon de s’attaquer aux causes et aux effets pervers engendrés par le profil racial. « Le vrai défi, c’est de rendre le tout humain, affirme-t-elle. La seule façon de contrer le profil racial est de sensibiliser l’opinion publique. Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu’en dépit des inconvénients, nous avons de la chance d’habiter un pays comme le Canada. Quoiqu’on en dise, notre situation est fort enviable comparativement à beaucoup d’autres pays du monde. »

Jason Gondiziola, collaboration spéciale


Traduction : Sophie Goyette

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