Les divers problèmes de dette souveraine surprennent autant qu’ils font peur. La Grèce, avec une dette de près de 400 milliards d’euros (570 milliards de dollars canadiens), 40 fois moins élevée que celle des USA et ne représentant « que » 140% de son PIB contre 200% pour le Japon en est un exemple révélateur.
Ces derniers mois, la Grèce s’est littéralement contrainte à une politique d’austérité, gelant ou réduisant de nombreuse fois les salaires, coupant dans les services publics, de santé et d’éducation. D’un point de vue économique on peut expliquer que cette différence de traitement dans l’information est essentiellement due à la structure économique de ces pays ; la dette japonaise est essentiellement détenue par les japonais et implique donc moins des tierces parties. Les USA quant à eux détiennent un leadership économique et une monnaie refuge, qui leur permettent, jusqu’alors un laxisme financier. Il n’en reste pas moins qu’une question majeure se manifeste de plus en plus ; les dettes toujours plus insoutenables des États n’effacent-elles par leur souveraineté nationale au profit des marchés financiers ?
« Les États-Unis mériteront toujours la note AAA ». Par cette courte phrase lapidaire, Obama a voulu soustraire rapidement son pays au verdict de la décote de la note de crédit des USA en délégitimant cette baisse. Nous avons en effet pu constater ces derniers mois l’influence, si ce n’est la puissance que peuvent avoir des institutions privées à l’instar des agences de notation sur l’économie d’un pays entier. Chaque nouvelle annonce de plan de réductions budgétaires, de soutien européen ou autre solution par la Grèce, s’il est jugé insuffisant, vaut une dégradation de la note de crédit. Ces agences sont même allé jusqu’à parler de dégradation préventive (sic) et à menacer de considérer la Grèce comme en défaut de paiement si elle rééchelonnait sa dette. Chacune de ces sorties de ces agences (les trois principales étant Fitch Ratings, Standard & Poors et Moody’s) amène les marchés financiers à revoir leur copie, induisant une hausse des taux d’intérêts et plongeant un peu plus la Grèce sous l’eau et l’Europe au bord de la débâcle.
La légitimité de ces agences et de leur effet de communication quant aux notes de pays est d’autant plus douteuse que chaque institution étant à même de se risquer à acheter des bons grecs est à même de mesurer les risques qu’elle prend, experts à l’appui. Soyons clair, il ne s’agit pas d’une ingérence directe du secteur privé dans la conduite d’un État. Ce sont bel et bien la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le FMI qui ont conclu un plan d’aide avec la Grèce, le Portugal et l’Irlande, en échange d’une stricte politique d’austérité.
Néanmoins, c’est la démocratie qui est mise à mal. Les Grecs, muselés comme leurs dirigeants, ne disposent plus d’eux-mêmes et de la conduite de leurs affaires. Le débat démocratique autour de la conduite de la nation entre le peuple et ses dirigeants n’existe plus. L’Europe, aujourd’hui garante de la santé financière de la Grèce impose des mesures de rigueur drastiques sous peine de voir encore plus s’envoler les taux d’intérêts de l’emprunt grec. Au bout du compte, c’est bien sous l’égide des puissances financières que se décide le sort des Grecs. Sous prétexte de mal-être économique, la Grèce s’est vue imposer l’austérité budgétaire et être obligée à un désengagement de l’État dans de nombreux secteurs comme la santé, l’énergie, le transport, et de laisser la porte ouverte aux investisseurs privés. Si un État a le droit de le faire, il ne devrait pas y être obligé. Le problème reste que, en terme d’endettement, un privé et l’État ne sont pas comparables. Là où une entreprise privée est mue par la nécessité de rembourser ses dettes et de dégager des bénéfices et profits pour les actionnaires, l’État recherche l’intérêt général. C’est ici par ailleurs la nature de la dette et la différence primordiale avec l’entreprise privée ; là où le privé investit, l’État procure, « à perte », un bien-être social.
Et qu’en est-il des souverainetés récemment acquises ? Selon les marché ainsi que les agences de notation, il semble qu’un régime dictatorial est plus stable et donc financièrement plus sain qu’une démocratie naissante. Un débat s’en est suivi quant à la suspension du paiement de la dette afin de subvenir aux urgences du peuple et le temps de renouer avec la stabilité et la croissance. Interrogé en mai sur cette question, M. Nabli, gouverneur de la Banque Centrale Tunisienne, expliquait que si elle le souhaitait, la Tunisie pouvait suspendre le paiement de la dette mais que dès lors « les portes de l’emprunt se fermeront ». La Tunisie s’est déjà vu dégrader sa note de crédit suite à la révolution. La Banque Centrale Tunisienne a donc décidé de reporter son recours aux marchés internationaux pour le financement de sa dette, le temps que sa situation soit stabilisée et la confiance revenue sans pour autant suspendre le remboursement. C’est sans compter les agences de notation qui attendent de la Tunisie des avancées significatives en terme d’ouverture économique aux investisseurs. La révolution tunisienne se trouve ainsi prise entre des volontés politiques naissantes et des obligations financières dont dépendent ces mêmes volontés politiques.
Il n’est pas compliqué de comprendre que la dette souveraine est finalement devenue le nœud des négociations entre les marchés financiers internationaux (les créanciers) et les États, législateurs à même de faciliter « l’ouverture » des marchés intérieurs.
Le Japon, plus malin diront certains, a su se soustraire à cette logique. L’État japonais n’a eu de cesse de promouvoir auprès des banques nationales l’achat de ses bons par les Japonais eux-mêmes. L’État japonais, largement indépendant des marchés financiers en ce qui concerne sa dette souveraine garde ainsi toute latitude quant à ses politiques budgétaire et donc intérieure. Il ne doit finalement de compte qu’à son peuple, premier créancier et seul juge de la conduite de la nation.
On s’aperçoit que, finalement, bien des États, en cédant aux sirènes de la libéralisation financière des années 80-90 en ayant recours aux financements de marchés internationaux, ont malgré eux remis le pouvoir dont ils étaient dépositaires à une puissance diffuse, n’ayant aucun compte à rendre et peu éprise de bien-être social. A l’instar de l’exemple tunisien, il est légitime de se demander si une révolution politique est suffisante à l’autodétermination.
photo : Flickr - Guillaume Brialon