Le projet de loi C-31, qui propose des réformes dans le système d’octroi de l’asile au Canada, soulève de nombreuses critiques. En particulier, la mesure imposant la détention obligatoire des personnes arrivées au pays de façon irrégulière pourrait pénaliser les personnes qui ont le plus besoin de protection.
« Dans mon pays, il y avait un régime d’oppression, confie Kanyinda Dikebele, originaire de la République Démocratique du Congo (RDC). Je faisais partie d’un groupe d’étudiants qui sensibilisait la population, organisait des marches politiques pour que les choses changent. Plusieurs d’entre nous ont été arrêtés, tués ou portés disparus. J’ai fait partie de ceux qui ont été emprisonnés. »
En prison, M. Dikebele vit un enfer : « C’était un lieu de torture. J’ai eu des séquelles physiques, certaines sont encore visibles. » Il réussit cependant à fuir la RDC et à entrer au Canada de façon irrégulière, c’est-à-dire sans visa et à l’aide de faux papiers. À la frontière, il demande l’asile. « J’ai été soumis à plus de douze heures d’interrogatoires et de questions, sans manger. Ils voulaient bien vérifier que je disais la vérité, alors l’arrivée n’a pas été facile. »
Heureusement pour lui, sa demande est rapidement acceptée. Le Canada reconnait qu’il a besoin de protection. Or, si le projet de loi C-31 avait été en vigueur à ce moment-là, les choses auraient pu se dérouler bien autrement pour M. Dikebele. Il aurait pu être envoyé dans une prison canadienne pour plusieurs mois. En effet, le projet conservateur, intitulé Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, prévoit une détention obligatoire d’un maximum d’un an des personnes qui entrent au pays dans le cadre d’une arrivée irrégulière.
Selon le gouvernement, il s’agit d’une mesure de sécurité nationale, visant à donner plus de temps aux autorités pour confirmer l’identité des personnes et détecter la présence possible de menaces criminelles. Le gouvernement veut aussi, par le fait même, décourager les demandeurs d’asile à arriver clandestinement.
Réfugiés, pas touristes
Me Richard Goldman, du Comité d’aide aux réfugiés, une organisation qui offre des services juridiques aux demandeurs d’asile, est inquiet. Selon lui, le gouvernement cible directement les personnes les plus vulnérables. « La grande majorité de ceux qui fuient la persécution dans leur pays ne peut pas obtenir un passeport de leur gouvernement, et encore moins un visa de touriste ou d’études pour venir au Canada, explique-t-il. Ils doivent donc recourir à des passeurs ou à des faux documents. »
M. Dikebele est du même avis : « Ces gens fuient une situation qui met leur vie ou leur intégrité physique en danger et ils ne peuvent pas attendre les délais administratifs pour un visa. » Selon le projet de loi, cette détention ne toucherait pas les enfants. Mais cette exemption ne rassure pas Me Goldman. « Si leurs parents sont emprisonnés, que vont-ils faire ? Soit ils vont être séparés de leur famille, soit ils vont y rester avec elle en prison, conclut-il. Ils n’ont pas besoin de ces traumatismes supplémentaires. »
Obligations internationales
Les normes internationales au sujet de la détention de demandeurs d’asile sont claires. Denise Otis, conseillère juridique du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) à Montréal, n’a pas souhaité commenter directement le projet de loi C-31 car la position officielle du HCR devrait être communiquée sous peu à partir de son bureau principal à Ottawa. Elle réfère par contre à l’article 31 de la Convention relative au statut des réfugiés. Ce dernier va comme suit :
« 1. Les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.
2. Les États contractants n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires […] »
Cela signifie qu’ « une personne qui demande l’asile ne devrait pas être emprisonnée pour le simple fait qu’elle est entrée en utilisant des documents frauduleux ou en n’ayant aucun document d’identité satisfaisant », résume Mme Otis. « Le HCR privilégie, tout d’abord, la notion d’alternatives à la détention », poursuit-elle. Selon elle, il est important que soit aussi en place un système qui permette la révision des motifs de détention. « Parce que quand on emprisonne quelqu’un, cela veut dire qu’on le prive d’un droit fondamental, le droit à la liberté, et cela ne doit pas être pris à la légère. Il faut que les États, par leurs pratiques, leurs politiques et leurs programmes, favorisent le respect de ce droit. »
Solution de rechange
Afin de limiter l’arrivée de demandeurs d’asile au Canada, Kanyinda Dikebele a une autre suggestion à émettre au gouvernement. « Le Canada devrait reprendre son rôle de conscience du monde. » Il explique : « Un pays comme la RDC est un grand producteur de minerais, comme le coltan et le diamant, qui sont utilisés à grande échelle dans plusieurs pays occidentaux. Pour avoir accès à ces richesses, ces pays soutiennent des dictateurs qui torturent, violent et tuent la population. Il faudrait que le Canada arrête de soutenir de tels régimes. »
« Ce n’est pas normal de permettre que la population souffre dans plusieurs pays et en même temps de bloquer l’immigration ici, conclut-il. Quand nous pourrons nous exprimer, contester, combattre le pouvoir sans que ce dernier soit soutenu à l’international, nous ne viendrons plus vous déranger au Canada. »