Des « promesses » de 4,6 milliards de dollars...

jeudi 26 mai 2005, par Mélanie DÉRAIL

Après la victoire fragile de Paul Martin jeudi dernier à Ottawa lors du vote de confiance sur le budget, le spectre des élections s’est dissipé quelque peu. Les stratégies des derniers mois, et notamment le coup de théâtre de Belinda Stronach ont apparemment porté fruit. Mais il ne faudrait surtout pas oublier l’importance que revêtent les concessions au budget « arrachées » par le chef du NPD, Jack Layton. Les libéraux sauront-ils tenir promesse ?

C’était la fête, jeudi 19 mai au Parlement pour le Parti libéral, même si le gouvernement Martin sait que la bataille n’est pas gagnée et que les prochains mois seront cruciaux. Depuis les révélations de Jean Brault sur le rôle du Parti libéral dans le scandale des commandites, beaucoup de travail reste à faire pour rétablir l’image du parti.

Selon Duncan Cameron, rédacteur du journal progressiste en ligne au Canada anglais, rabble.ca, et professeur à la retraite de sciences politiques à l’Université d’Ottawa, le premier ministre Martin tiendra la promesse qu’il a faite lors de son discours à la nation : « Le gouvernement Martin fournira des réponses [...] concernant le scandale des commandites avant de déclencher des élections. » Mais pour le journaliste, rejoint à Vancouver où il réside maintenant, ce qu’il faut surtout retenir de ce branle-bas de combat autour du vote de confiance c’est le rôle qu’à jouer le Nouveau parti démocratique (NPD).

À toutes fins pratiques, le NPD a forcé le gouvernement à admettre - chose qu’il n’avait pas faite depuis dix ans - qu’il avait de l’argent, et même beaucoup, à investir dans les services sociaux, comme les garderies ou le logement social, par exemple. De même qu’il avait les moyens d’investir davantage en environnement. Tout cela grâce à Jack Layton qui a également su manœuvrer pour faire avancer les idées progressistes que défend son parti, et ce, même si le NPD ne compte que 19 membres au Parlement.

Dans la presse canadienne, en dehors du Québec, plusieurs commentateurs et analystes de la politique fédérale ont d’ailleurs beaucoup insister sur ce point. Alors que certains ont accusé le Parti libéral d’avoir vendu son âme au NPD, d’autres ont parlé du « meilleur budget des 30 dernières années ». C’est notamment l’avis d’Andrew Jackson, directeur national de politiques sociales et économiques du Congrès du travail du Canada : « Les augmentations importantes des dépenses dans le domaine social, permettront de faire avancer une société plus équitable, prospère et durable, et qui devrait survivre aux positions partisanes. » Un ensemble de mesures progressistes « arrachées » par le NPD, qui s’élèvent à 4,6 milliards de dollars, ce qui n’est pas rien.

C’est ce qui fait dire à Murray Dobbin, chroniqueur au journal The Tyee, et auteur du livre Paul Martin : CEO for Canada ? : « Si nous parlons d’un gouvernement qui travaille dans l’intérêt des Canadiens ordinaires, des familles, des communautés et de la nation, le Parlement a fonctionné mieux ces dernières semaines qu’au cours des derniers vingt ans. » Il ajoute que les Canadiens, en fait, ont finalement obtenu du gouvernement fédéral ce qu’ils disent vouloir depuis des années, voire des dizaines années. Soit « le retour d’un gouvernement militant qui agit dans leur intérêt [celui des Canadiens] et non seulement dans l’intérêt des multinationales et des plus riches ».

Qu’on ne s’y méprenne pas toutefois. Murray Dobbin ne porte pas pour autant Paul Martin dans son cœur, qu’il considère être au mieux « une marionette obéissante de Wall Street qui s’adonne à parcourir les corridors du Parlement ».

De son côté, Duncan Cameron considère qu’« il y a une faiblesse dans la stratégie des libéraux qui perdure depuis longtemps au sujet de l’assurance-emploi au Québec et qui fait bien des mécontents. Le Bloc québécois ne cesse de le remettre au visage des libéraux et cela pourrait faire mal aux prochaines élections fédérales. Le parti libéral, pour s’assurer une victoire au Québec, devrait miser sur cet aspect qu’il néglige depuis des années, sinon il pourrait y avoir un troisième référendum. »

Partie remise

On s’en doute, le chef des conservateurs, Stephen Harper, ne laissera pas tomber la lutte, déterminé à déloger les libéraux du pouvoir et à prendre leur place. Mais les intentions de vote - notamment en Ontario - à l’égard des conservateurs, ayant considérablement chutées, dans les jours précédents le vote de confiance sur le budget, ceux-ci devront donc aussi travailler leurs stratégies, s’ils veulent remporter la prochaine élection, qui sans doute sera déclenchée quelque part en janvier ou février 2006.

À ce moment, les Canadiens auront probablement le choix entre des politiques plus progressistes, insufflées par le NPD, ou un programme et un budget plus que conservateur : désinvestissement dans le secteur social, recul dans l’environnement et le développement durable, mort du protocole de Kyoto, abandon du projet de loi sur le mariage entre personnes de même sexe.

Quoi qu’il en soit, la politique canadienne en a pris un coup aux yeux de l’ensemble de la population avec le scandale des commandites et les libéraux sont toujours aussi minoritaires, et leur crédibilité toujours aussi entachée. Paul Martin devra non seulement continuer à user de stratégies, s’il veut se maintenir au pouvoir, mais il devra surtout tenir les promesses qu’il a faites aux Canadiens.

Des promesses qui s’élèvent à 4,6 milliards de dollars en faveur de mesures sociales et de la protection de l’environnement et du développement durable. Espérons que l’influence des 19 députés du NPD continue de jouer en faveur des intérêts des Canadiens.

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