Protocole de Kyoto

Déception canadienne à Bonn

jeudi 1er juin 2006, par Steven GUILBEAULT

L’environnement a-t-il un avenir au Canada ? En assistant à la mise à mort du protocole de Kyoto et au saccage des programmes et initiatives de réduction des gaz à effet de serre (GES) par le gouvernement de Stephen Harper, on peut en douter. Cependant, il ne peut être question pour les canadiens de baisser les bras. Un tel protocole fait force de loi au pays.

Il est vrai que cela n’empêche pas aujourd’hui le gouvernement canadien d’adopter une tactique radicale, en faisant table rase de la question environnementale et de tous les efforts menés depuis une dizaine d’années. Le fait de repartir à zéro sur une telle question est suicidaire pour l’avenir environnemental du Canada ainsi que pour la santé de la population. Seule une solution révolutionnaire pourrait justifier un tel revirement, mais il n’est pas question ici d’une quelconque recette miracle du gouvernement Harper, bien au contraire.

En effet, le programme environnementaliste du gouvernement conservateur est inexistant. La plupart des initiatives envisagées auparavant ont purement et simplement disparu, lamentablement remplacées par deux mesures uniques, dont on connaît déjà l’inefficacité - et aussi l’énormité des dépenses à prévoir - dans la lutte contre les GES. Il s’agit de l’introduction de 5 % d’éthanol dans l’essence d’ici 2010, ce qui ne réduirait même pas de 1 % les GES du Canada, et d’une réduction d’impôt destinée aux détenteurs de titres de transport en commun. Cette dernière mesure ne devrait séduire que peu de citoyens, puisqu’on ne prévoit qu’une augmentation de 2 à 4 % de la fréquentation des transports publics. Enfin, elle ne permettrait de réduire les GES qu’à hauteur de 30 000 tonnes par an, ce qui correspond à 0, 001 % de l’objectif de Kyoto.

Alors, pour combler ce vide, le gouvernement canadien a soufflé le chaud et le froid en faisant le guignol devant la communauté internationale. Pendant dix jours, la ministre de l’Environnement, Rona Ambrose, censée présider les négociations sur les changements climatiques, qui se sont déroulées à Bonn en Allemagne, n’a fait que de la figuration, n’hésitant pas à berner le monde entier sur les intentions réelles du gouvernement Harper.

En affirmant ne pas vouloir respecter les objectifs de réduction des GES du Protocole, le gouvernement Harper est dorénavant considéré comme un traître aux yeux du monde. De pays engagé et meneur de jeu, notamment lors de la conférence de Montréal, le Canada s’est transformé, sous le règne des conservateurs, en matador du protocole de Kyoto. La ministre Rona Ambrose n’a cessé d’aligner des déclarations plus absurdes les unes que les autres, évoquant l’arrêt de tous les transports (voitures, avions, trains, bateaux, métro, etc.) comme unique possibilité d’atteindre les objectifs du Protocole. Elle annonçait aussi triomphalement, avec une fierté douteuse, les bien piètres initiatives gouvernementales, comme celle de l’éthanol.

Avant d’occuper la scène environnementale, Rona Ambrose a travaillé pour le gouvernement de l’Alberta, et s’était battue contre la ratification du Protocole, étudiant même la possibilité de porter la cause de l’Alberta devant la cour suprême du Canada. La nomination de cette femme au ministère de l’Environnement n’est donc pas une surprise, surtout lorsqu’on se rappelle les propos de Stephen Harper, alors à la tête du parti de l’Alliance canadienne. Il déclarait en effet en 2002 vouloir faire de la destruction du Protocole sa priorité le jour où il serait nommé premier ministre du Canada.

Les intentions du gouvernement conservateur ne datent donc pas d’hier ! Connaissant le passé du premier ministre sur la question de l’environnement, on ne s’étonnera donc plus de sa proximité avec l’administration Bush. C’est dorénavant le président des États-Unis qui dicte sa conduite au gouvernement canadien en écrivant le scénario : une vulgaire copie de la politique de Washington, adaptée à la sauce canadienne.

Non satisfait des perturbations internationales que ces revirements provoquent, le gouvernement Harper a reçu officiellement le premier ministre australien, fervent adepte du pacte Asie-Pacifique sur les changements climatiques. Les mesures proposées par ce pacte ne dépendent que de la bonne volonté des partenaires (tous parmi les plus grandes puissances de l’industrie charbonnière) pour réduire les GES. Autant dire que c’est un leurre : aucune contrainte n’est imposée aux pays signataires. En faire partie revient donc à abandonner tout effort pour lutter contre les changements climatiques.

Mais le clou du spectacle, offert récemment par le gouvernement canadien, c’est sans doute la révélation, dans La Presse et le Globe and Mail, des instructions du gouvernement Harper destinées à la délégation canadienne de Bonn. Ce document, authentifié par le gouvernement, donnait des instructions très claires pour saboter l’ensemble des négociations et pour influer sur les autres membres occidentaux, naturellement frileux face aux contraintes environnementales, afin qu’ils se désolidarisent de l’accord de Kyoto.

Face à de telles manipulations, on ne peut qu’exiger du nouveau gouvernement qu’il respecte les engagements pris par le Canada. Il faut qu’un plan d’action soit mis en oeuvre au plus vite pour respecter le processus de Kyoto. Une chose est sûre, la population du Canada ne peut plus être trompée impunément par le gouvernement et ne doit pas accepter qu’Harper abandonne le Protocole. Ce serait mépriser la volonté des électeurs et celle des députés de la Chambre des communes. Chacun doit prendre ses responsabilités, pour l’avenir du pays et, plus encore, pour les générations futures.


L’auteur est directeur de Greenpeace Québec.

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