De la décharge au climat

mardi 23 juin 2009, par Yan Turgeon

Lorsqu’il a développé la notion d’équité environnementale au début des années 1980, l’Afro-Américain Robert Bullard n’aurait jamais cru qu’elle trouverait un jour écho aux Nations unies. Elle sera pourtant sur toutes les lèvres, en décembre prochain, lorsque la communauté internationale se réunira à Copenhague pour négocier le régime climatique devant succéder au Protocole de Kyoto.

« Au début, nous voulions rendre compte de problèmes locaux affectant des communautés marginalisées. Ce n’est que plus tard, lors des sommets mondiaux, que nous avons pris conscience que l’équité environnementale était un enjeu mondial », confie le sociologue qui dirige aujourd’hui le Environmental Justice Resource Center, de l’Université Clark Atlanta.

De passage à Québec, où il a prononcé une conférence dans le cadre du séminaire « L’équité environnementale : clef pour le développement durable » organisé conjointement par l’Institut EDS et la Fondation Monique Fitz-Back, il rappelle que cette notion est née dans la foulée des luttes populaires, lorsqu’une communauté majoritairement noire, pauvre et rurale de Caroline du Nord, a protesté contre l’installation d’une décharge de sols contaminés aux BPC dans son voisinage. Si les opposants n’ont pas empêché les camions de déverser leur charge toxique, les marches, les manifestations et les emprisonnements ont fait beaucoup de bruit.

La population a réalisé que des millions d’Américains vivaient à proximité de sources polluantes et que la présence de décharges de déchets dangereux ou d’industries lourdes dans leur voisinage n’était pas le fruit du hasard. « Le Deep South a une tradition d’esclavage, de ségrégation raciale et de sous-développement industriel. Si bien que nos dirigeants disaient aux entreprises, venez vous installer chez nous, nous acceptons tout, même les industries les plus polluantes ! », dit Robert Bullard.

Cette prise de conscience a mené à la publication, en 1987, de la première étude sur la répartition ethnique des déchets toxiques. L’enquête soulignait que les décharges de produits dangereux étaient majoritairement situées où vivent les minorités. Dix ans plus tard, une seconde étude conclut que la situation s’est dégradée. De plus en plus d’Afro-Américains habitent à proximité de sites d’enfouissement de déchets dangereux : 56 % des personnes vivant à moins de 3 km de ces sites sont des gens de couleur alors qu’ils ne constituent que le tiers de la population américaine. « En Louisiane, un village fondé après l’abolition de l’esclavage est enclavé entre deux raffineries. Le parc où jouent les enfants se trouve sous leurs cheminées. Vous restez là 15 minutes et vous avez mal à la tête », relate M. Bullard.

Mais il n’y a pas que les communautés marginalisées qui font les frais de la dégradation de l’environnement, constate aujourd’hui le chercheur : «  Ce sont des pays entiers qui se trouvent au mauvais endroit, du mauvais côté du Rio Grande ou dans le mauvais hémisphère.  » L’iniquité est d’autant plus flagrante que ce sont les plus pauvres de la planète - et les moins responsables du bouleversement de leur environnement - qui sont les plus touchés. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des incidents climatiques ont lieu dans les pays en développement alors que les pays du G20 sont responsables à eux seuls de 80 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales.

Le Forum humanitaire mondial, présidé par l’ex-secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, évalue à 300 000 le nombre de décès causés par les changements climatiques chaque année et chiffre à 26 millions le nombre de déplacés du climat dans le monde. Lorsque les précipitations sont de moins en moins prévisibles, que l’élévation du niveau de la mer arrache la terre aux paysans et contamine leurs réserves d’eau douce, que de nouveaux déserts apparaissent là où, encore hier, la rareté de l’eau n’était pas un problème, les populations migrent alors vers les zones où elles pensent pouvoir subsister. Dans la seule Afrique subsaharienne, on estime qu’au cours des dix prochaines années, 60 millions de personnes vont prendre le chemin de l’exil pour échapper à la désertification.

Une affaire d’États

À Copenhague, l’équité environnementale sera au cœur des négociations du prochain régime climatique. Pour les pays en développement, l’argument est sans équivoque. Ce n’est pas aux pays les plus vulnérables de payer pour s’adapter, ni de freiner leur développement pour permettre aux pays les plus riches de continuer d’émettre des milliards de tonnes de GES dans l’atmosphère. C’est aux pays industrialisés, dont la contribution au problème est historique, de porter le fardeau du dérèglement du climat. Mais si on réduit souvent l’enjeu de cette conférence à l’établissement de nouvelles cibles de réduction - ce qui inclut l’imposition ou non de cibles contraignantes à la Chine -, on reconnaît aujourd’hui que l’atténuation ne se fera pas du jour au lendemain.

Payer pour préserver des écosystèmes (par exemple, dédommager des États ou des collectivités pour le maintien des forêts ou des cours d’eau), transférer des technologies (par exemple des éoliennes ou des panneaux solaires) et renforcer la formation humaine (par exemple, en sensibilisant les agriculteurs à la préservation des sols) figurent donc parmi les enjeux majeurs de la Conférence de Copenhague, au même titre que la réduction des émissions de GES. Seule la mise en œuvre de tels mécanismes, réclamés de longue date par les pays en développement leur permettra de poursuivre leur croissance sans décupler leur empreinte écologique.


Yan Turgeon est rédacteur en chef d’Objectif terre, le bulletin d’information du développement durable de l’espace francophone.

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