Argentine

De la débâcle au mouvement populaire

samedi 1er juin 2002, par Emilio TADDEI

Le spectaculaire écrasement économique de celui qualifié par les organismes internationaux d’« élève exemplaire » révèle, à la face du monde, le caractère profondément régressif des politiques néolibérales responsables d’un authentique « génocide social » contre les salariés et les pauvres de la société argentine.

La dévaluation du peso, imposée en janvier 2002 par le fragile gouvernement de Duhalde a entraîné un nouvel et gigantesque processus de transfert des richesses du travail vers le capital. Ainsi, l’inflation sur les prix à la consommation a été absorbée par les travailleurs qui ont vu leur salaire réel diminué de 40 %. Le résultat net de cette forte augmentation des prix des aliments, de la hausse du chômage et des salaires dévalués, c’est que la moitié de la population de l’Argentine, quelque 18 millions de personnes, est acculée en deçà du seuil de la pauvreté.

Chantage quotidien

Après dix ans de parité monétaire (où un peso argentin équivalait à un dollar américain), les premiers bénéficiaires de cette nouvelle dévaluation sont les secteurs économiques de grande concentration, principalement le secteur agro-exportateur. Le système bancaire exerce un chantage quotidien sur l’État afin que ce dernier assume la responsabilité de rembourser aux épargnants leurs dépôts en dollars américains, devises massivement détournées vers l’extérieur du pays. Les services publics privatisés ne se résignent pas à voir leurs profits diminués et exigent du gouvernement une augmentation des tarifs, ce qui risque d’empêcher la majorité de la population d’avoir accès aux services publics de base.

La crise d’une économie toujours plus dépendante du capitalisme financier international fait miroiter dans les capitales étrangères la possibilité de fructueuses affaires. C’est ce qu’ont compris le Fonds monétaire international (FMI) et la majeure partie des gouvernements des pays industrialisés. Ces derniers n’exigent pas seulement d’aller plus loin dans les plans d’ajustement fiscaux, mais réclament aussi des modifications aux lois régissant d’une part les faillites et d’autre part, les malversations économiques. Dans le premier cas, il s’agit de faciliter l’acquisition par des capitaux étrangers d’entreprises ayant fait banqueroute et, dans le deuxième cas, de « blanchir » les crimes économiques perpétrés par les banques qui ont volé et détourné l’argent des épargnants.

Complicité

L’intransigeance manifestée par les organismes internationaux ainsi que par les gouvernements des pays centraux envers l’Argentine est en nette contradiction avec la politique de « crédit facile », qui a eu cours tout au long des années 90.

Mais cette attitude révèle une raison politique qui va au-delà des stratégies économiques. La révolte argentine, et sa remise en question de « l’ordre établi néolibéral », représente un affront majeur pour les classes dominantes étrangères et nationales. Pour ces dernières, il s’agit donc de donner une leçon au mouvement populaire dont les capacités, tout au long de l’année dernière, se sont accrues et qui s’est consolidé sous le parapluie des luttes contre les politiques néolibérales.

La convergence de la lutte des piqueteros (mouvements de chômeurs) avec les secteurs des classes moyennes ; l’expérience de la démocratie directe à travers les assemblées populaires ; la propagation de la solidarité sociale et l’apparition d’expériences autogestionnaires de travailleurs ; la consolidation d’un mouvement syndical antinéolibéral ; les actions directes de dénonciation publique réalisées contre les banques, les politiciens et contre la Cour suprême, sont quelques-uns des exemples des progrès importants réalisés, à travers une pratique quotidienne, par le mouvement populaire. Ces phénomènes de contestation sociale sont une démonstration du mécontentement généralisé face à l’ordre social dominant du « capitalisme réel » et de la profonde crise de la démocratie libérale comme mécanisme de représentation hégémonique du même ordre social. Dans son combat contre les effets du néolibéralisme, le mouvement de protestation argentin représente une nouvelle expérience recherchant, dans le respect des différences, l’autonomie sociale, une radicalisation de la démocratie et un nouvel horizon émancipateur.

Tragédie sociale

La tragédie sociale argentine met en lumière, sur le plan international, les effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste et du modèle libéral. L’Argentine représente aujourd’hui l’exemple parfait de ce que pourrait être, pour la vie de millions de travailleurs du continent, la mise en place du projet de libéralisation commerciale de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). La dimension internationale de la crise argentine constitue un énorme défi mais aussi une opportunité pour le mouvement populaire international. La dénonciation de l’extorsion exercée par les organismes internationaux, les banques, les multinationales et les groupes économiques est aujourd’hui une tâche essentielle de solidarité avec le mouvement populaire argentin. Les expériences de participation populaire et de démocratisation, développées par le mouvement social argentin, s’inscrivent dans un vaste processus de recherches d’alternatives au modèle mis en place par le capital ainsi que dans une dynamique de convergences solidaires du mouvement international pour une autre mondialisation.

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