Dans la tourmente libanaise, les femmes perdent au change

mercredi 28 septembre 2005, par Abdelkrim DEBBIH

« Nous exigeons de nos gouvernements plus de démocratie. Mais peut-être faudrait-il que les sociétés se démocratisent aussi. Les femmes, malgré les apparences de liberté ou d’égalité, sont soumises au Liban au diktat des hommes et des différents clergés, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. » Pour Joumana Mehré, vice-présidente de l’association libanaise des femmes démocrates, un regroupement de plusieurs associations indépendantes, c’est la société avec ses mentalités machistes et sexistes qui laisse aux tribunaux religieux le soin d’établir le statut de la femme, et donc sa condition. C’est la société qui permet la persistance de l’inégalité entre les hommes et les femmes, que ce soit au nom du dogme chrétien puisé dans les épîtres de Saint-Paul, ou du dogme musulman inspiré de la tradition islamique.

Le réseau des femmes démocrates que dirige Wadad Chakhtour, une retraitée de l’enseignement, tente de faire entendre la voix des femmes libanaises dans le brouhaha politique que connaît le Liban. L’organisation essaie d’apporter une pierre au nouvel édifice démocratique que souhaite une partie de la population. Courageusement, ces femmes transcendent les clivages religieux et les lourdeurs sociales.

Les clivages religieux persistent et dissimulent l’oppression sociale des femmes. Dès l’école primaire, on distingue les sexes, contrairement aux apparences et au mythe selon lequel la femme libanaise serait « la plus libre du Moyen-Orient ».

Les écoles comme les universités affichent des frontons aux slogans confessionnels. Une école publique implantée dans un quartier chiite, arménien ou chrétien maronite sera de fait soit chiite, arménienne ou maronite. L’école qui doit former le Libanais de demain enseignera la morale et l’histoire du Liban du point de vue de la communauté concernée seulement. L’appartenance religieuse avec ses contraintes et ses règles prime sur l’appartenance citoyenne où hommes et femmes subiraient un même traitement aux yeux de la loi. C’est ainsi que le code pénal ne condamne pas le viol conjugal et encourage le crime d’honneur. Au nom du respect des règles religieuses. C’est dans ce contexte qu’un programme de l’Unicef, auquel participe le Canada, essaie de réhabiliter socialement des femmes condamnées à des peines de prison. Une vraie gageure dans un pays encore en partie hostile aux femmes.

« Comment alors construire un pays, alors que le communautarisme religieux est le pire des maux qui ronge le Liban ? », demande Bechel Nacer, un sociologue, lui-même formé dans une école et une université maronites, et qui, après avoir passé une année en France, est revenu avec la conviction profonde que les religions peuvent être un frein au développement d’un pays. Que dire alors d’un pays qui compte 18 confréries religieuses ? Selon lui : « La seule chose que [cela a donné aux Libanais], c’est une guerre civile permanente depuis un siècle. Tous les conflits au Liban, toutes les guerres, tous les massacres jusqu’aux dernières voitures piégées de cet été, ont pour origine un litige interreligieux. Le Liban des citoyens n’existe pas encore. Un patchwork de communautés, cherchant chacune un allié étranger sur qui s’appuyer, n’a jamais constitué un pays. »


L’auteur est journaliste à l’émission Points chauds de Télé-Québec. Ce reportage a été réalisé grâce à la participation du programme Initiative journalisme et développement, de l’Agence canadienne du développement international (ACDI). Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de l’ACDI, et n’engagent que l’auteur.

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