Danger ! Armées privées

mardi 27 juillet 2004, par Gil COURTEMANCHE

Le premier service public a peut-être été l’armée. Un chef de tribu, un roi primitif constitua un groupe
d’hommes armés qui assurait sa sécurité, trucidait les citoyens voyous et protégeait le territoire ou encore
conquérait de nouvelles terres qui assuraient l’expansion. C’est probablement à partir de l’armée qu’on
édifia les fondements des sociétés modernes. Conquête et expansion, mais aussi organisation du travail
social qui avec la croissance devenait complexe. La police a été inventée, puis des magistrats ont été mis
en place pour punir les crimes.

De monarchie en monarchie, le service public s’est développé, le plus important sans doute étant celui de la
collecte des taxes et des impôts. Les gazettes officielles sont apparues, organes de propagandes, mais dont le mérite
était de rendre public ce que le roi avait décidé. Après les révolutions, l’école apparut, puis les hôpitaux, les
services de voiries, les droits d’exploiter un territoire forestier ou un gisement minier. Tranquillement les sociétés s’organisaient collectivement. Tout cela relevait du service public comme l’armée, le premier service collectif que la société se fut donnée. Nous entrions
dans le 20e siècle.

L’après crise des années trente a en-
traîné le New Deal aux USA et le Front
populaire en France. L’après guerre, la
construction de sociétés occidentales
fondées sur des principes de droits et
d’imputabilité. Peu importe que le dis-
cours ait été plus glorieux que la réalité. Le fait demeure qu’en
théorie un citoyen lésé pouvait se plaindre et qu’il
possédait des recours. C’est ainsi que la Cour suprême des
États-Unis ordonna la fin de la ségrégation dans les
transports en commun, la fin de la discrimination dans
les universités et plus tard, le droit à l’avortement. Tout
cela a été possible parce que tous les acteurs relevaient de
la sphère publique et du gouvernement.

Puis est arrivé le grand vent de la libéralisation des acti-
vités économiques, le retrait du gouvernement de service comd’intérêt
commun, comme l’eau, le transport collectif,
l’électricité. Au Royaume-Uni, le gouvernement Thatcher
donna (c’est le mot) les services ferroviaires à l’entreprise
privée. Les compagnies privées pour épargner des coûts
négligèrent la sécurité du réseau. Les catastrophes ferroviaires se multiplièrent et les parents des victimes n’eurent
de recours que devant les tribunaux sans aucune possibilité
de pressions politiques. En Californie, le désengagement de l’État (comme en
Ontario) a fait que des milliers de per
sonnes ont fait faillite ou on dû grever
leurs budgets parce qu’on avait accordé
aux entreprises privées la fourniture de
l’électricité. Contre qui pouvaient-elles
se retourner ? Enron et d’autres compa
gnies en faillite.

La privatisation est souvent le moyen que
prend un gouvernement pour accomplir
ce qu’il ne peut faire légalement. Car le
gouvernement est sujet à un examen et
à un contrôle beaucoup plus serré que ne
l’est une entreprise privée.

C’est ainsi qu’après avoir privatisé
l’eau, l’électricité, dans certains États,
l’éducation et dans d’autres les prisons,
les Américains ont décidé de privatiser la guerre, de permettre à des entreprises privées de faire la politiq
que américaine sans que les politiques en soient responsables.
Les sévices infligés aux prisonniers irakiens sont souvent or
donnés par des employeurs privés comme MZM, charés des
interrogatoires. La majorité des civils américains tués dans les
attentats en Arabie Saoudite étaient des employés de Vinnel
Corp, une entreprise responsable de la formation de la Garde
royale saoudienne. La sécurité de l’administrateur américain
en Irak, Paul Bremmer est assurée par Blackwater Security qui
fournit deux hélicoptères et une petite brigade d’anciens com
mandos. Si jamais, un Irakien est tué par erreur, quels sont les
recours des parents ? Aucun. Comme toutes les victimes de la
privatisation des services publics.


L’auteur est écrivain et chroniqueur dans Le Devoir

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