Le Pen en France, Dumont au Québec

Curieuses coïncidences

samedi 1er juin 2002, par Gil COURTEMANCHE

Qui a voté pour Jean-Marie Le Pen pour qu’il puisse parvenir au deuxième tour ? La réponse est surprenante : essentiellement des ouvriers, des gens qui instinctivement votaient à gauche, particulièrement pour le Parti communiste.

Qui donne sa vigueur nouvelle à Mario Dumont ? D’après les données parcellaires des sondages, des ouvriers francophones dont on peut dire qu’en majorité, ils votaient auparavant pour le PQ. Curieuse coïncidence.

Il ne faut pas faire d’amalgame. Dumont n’est pas Le Pen. Mais le populisme est le populisme. Et il triomphe quand les progressistes perdent contact avec leur clientèle naturelle. La droite est aussi partout dans le monde, la droite et ses solutions simplistes attirent les égarés dans les moments d’incertitude.

La gauche en France, la traditionnelle, celle des appareils de parti, ne semble pas avoir compris pourquoi on l’a désertée. Elle persiste dans ses débats élitistes et ses luttes de clans. Elle demeure une gauche d’appareil. La gauche d’ici qui veut former un parti comme les autres, pour prendre le pouvoir comme les autres, ne comprend pas pourquoi Mario Dumont profite du mécontentement, de la précarité et de l’incertitude. La gauche d’ici, pour les gens qui ont besoin d’elle, est ailleurs, sur une autre planète. Ces gens ne se connaissent pas. Ils ne se sont jamais rencontrés.

La vraie gauche, les véritables progressistes ont depuis longtemps quitté les structures de parti, particulièrement du Parti québécois. Ces gens, et ils sont des milliers et des milliers, travaillent dans les soupes populaires, dans les groupes de soutien aux femmes battues, avec les assistés sociaux, dans les ONG, dans les groupes qui combattent la mondialisation. Ils tentent le pari de l’économie sociale. Ils ne sont pas dans la discussion de l’utopie idéale, ils sont dans le combat quotidien de la dignité. Ils ne se demandent pas si l’indépendance sans socialisme est préférable au socialisme sans indépendance. Ils posent bêtement la question du rêve quotidien : comment vivre dignement. Et pour tenter de vivre dignement, ils agissent.

S’il doit exister ici une gauche porteuse d’un véritable projet de changement, ce ne sera jamais celle de ces petits partis aussi politiciens que les grands partis. Si la gauche veut exister, elle devra retrouver ses racines. Et ces racines sont dans la rue, dans les quartiers, dans une action de proximité, dans un rapport étroit et intime avec les plus démunis.

La construction de la gauche ne doit pas commencer par l’unité de partis qui n’existent pas, sauf dans les colloques, mais par le grand rassemblement de toutes les forces progressistes, syndicats, groupes communautaires, ONG. Comment parvenir à cette union ? Je ne le sais pas. Ce que je sais, c’est que sans elle, nous sommes perdus.

Les gens qui ont voté pour Le Pen et ceux qui appuient Mario Dumont nous disent qu’ils cherchent désespérément une autre politique. Plus profondément (c’est la principale leçon), ils nous disent qu’ils veulent être inclus. En votant pour celui qui incarne un véritable changement, ils hurlent « n’importe quoi pourvu que ça change ! »


L’auteur est également auteur, journaliste et chroniqueur au Devoir.

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