Le Cambodge connaît depuis une décennie un développement remarquable, entraînant des bouleversements, notamment culturels, pour les populations autochtones.
Le Cambodge, pays d’Asie du Sud Est, est largement dominé par l’ethnie khmère. Les Phnongs (aussi appelés Bunong ou Mnong) font partie du centième de la population regroupant les ethnies minoritaires. Bien que juridiquement non contraignante, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones affirme leur droit à l’autodétermination. Néanmoins, beaucoup sont privés de leurs droits fondamentaux. Les Phnongs constituent un exemple clair de ces laissés pour compte.
Qui sont les Phnongs ?
Les Phnongs habitent principalement la province du Mondolkiri dans le Nord Est du Cambodge. Ils pratiquent l’agriculture de subsistance, selon le mode rotationnel en employant des techniques traditionnelles. Ils complètent leurs ressources par des activités comme la chasse, la pêche, la collecte de bois et la récolte de résine. A l’inverse des Khmers, principalement bouddhistes, les Phnongs sont animistes, même s’ils adoptent le christianisme, en réaction dit-on à la religion nationale. Les Phnongs appartiennent aux minorités linguistiques : leur langue, exclusivement parlée, côtoie la langue officielle. D’autres caractéristiques différencient les deux ethnies, tels que l’inhumation et le sacrifice d’animaux pratiqués par les Phnongs.
Le recueil de poèmes et chants compilé par le linguiste Sylvain Vogel reflète, quant à lui, les valeurs essentielles des Phnongs que sont l’intégration de l’individu dans le groupe et la collaboration des uns avec les autres. Toutefois, de nos jours, d’après le chercheur, il existe un décalage entre les traditions et l’époque contemporaine : les Phnongs s’habillent comme les Khmers , construisent des maisons de style khmer et exercent un travail salarié.
Pression démographique
La province du Mondolkiri a beaucoup changé ces dernières années sous l’effet des mouvements migratoires. Les Khmers des plaines sont encouragés à migrer vers le nord-est où les terres abondent. Cette politique risque de marginaliser les minorités ethniques de la région, celles-ci étant totalement étrangères au concept de propriété. La capitale de la province, Sen Monorom, n’a cessé de se transformer depuis qu’une nouvelle route permet plus facilement d’y accéder. En effet, de nombreux commerces et établissements d’hébergement et de restauration gérés par les nouveaux arrivants y ont été construits.
Certains observateurs discernent une volonté du gouvernement de coloniser des contrées qui ont résisté jusqu’à maintenant ou, du moins, dont les populations se souciaient peu des gouvernants, l’indifférence étant alors mutuelle. D’après le guide « Culture Smart ! Cambodia », les Chunchiet ou Khmer Loeu [habitants des hautes terres], qui vivent dans les régions montagneuses du Nord Est, sont généralement peu connus des Cambodgiens ordinaires et sont occasionnellement persécutés par leurs voisins immédiats. Ils sont victimes de l’exploitation des forêts et des ressources minérales du Cambodge.
Bill Herod, directeur de l’organisation non gouvernementale Village Focus à Sen Monorom, dénonce un génocide, traçant un parallèle entre le traitement infligé aux autochtones du Cambodge avec la quasi extinction des Amérindiens. « Statistiquement, les Phnongs, à l’origine majoritaires à Mondolkiri, sont en train de devenir une minorité. »
Bien que la pression démographique risque de dégénérer en graves conflits fonciers, la culture phnong est également menacée. Les forêts disparaissent et, avec elles, les éléphants sauvages, au rôle pratique et spirituel. Une agriculture basée sur l’essartage (culture sur brûlis), pilier de leur civilisation, devient de plus en plus difficilement praticable.
Intégration et organisation
La compréhension des processus d’intégration des minorités culturelles nécessite la connaissance de deux notions distinctes que sont l’acculturation et l’assimilation. L’assimilation constitue une phase extrême d’acculturation : les indigènes perdent leur savoir, anéanti par une culture exogène. L’acculturation menace d’extinction les autochtones lorsqu’un nouveau mode de vie est importé trop soudainement.
La situation des Phnongs ayant des similitudes avec d’autres populations confrontées à une ethnie dominante, il est possible de proposer une analyse à travers l’ouvrage de Jean-Claude Pomonti « Asie du Sud-Est 2009. L’année de toutes les incertitudes ». L’un des angles de celui-ci consiste en une interprétation des relations entre l’État central et les minorités ethniques. L’auteur situe l’origine du problème dans la formation d’États nations. Selon M. Pomonti, la solution imposée aux minorités faibles est souvent celle de l’assimilation, gentille si possible, brutale s’il le faut par la majorité. Les minorités plus conséquentes disposent de davantage de moyens pour préserver leur identité, y compris celui de la rébellion.
Étant donné leur nombre peu élevé, soit 30 000 sur une population totale de 14 millions, les Phnongs ne font certainement pas le poids. Face à cette exclusion persistante, il convient de proposer des solutions. Comme l’exprime Sylvain Vogel, « l’avenir dépendra des Phnongs eux-mêmes et ce qu’ils veulent conserver de leur culture. » Toutefois, il semble que l’avenir des Phnongs ne dépende pas que d’eux-mêmes. « Les décisions d’aménagement du territoire et de développement économique sont prises à Phnom Penh. Les Phnongs n’ont pratiquement aucune prise sur l’évolution de leur environnement social et écologique. Il reste à savoir comment cette société, qui est organisée en petites unités villageoises, peut s’organiser pour faire perdurer son identité. » , ajoute le linguiste.
Il convient de noter que le groupe phnong n’est pas dépourvu d’érudits : beaucoup de d’entre eux ont suivi des études et maîtrisent le khmer, l’anglais ou le français. Certains travaillent pour des organisations non gouvernementales ; d’autres occupent même des postes clés au sein du gouvernement, bien que ceux-ci ne soient pas considérés comme des représentants de la majorité.
Bien que la mondialisation tende vers l’homogénéisation, une diversité culturelle subsiste. Des peuples fiers de leurs idiosyncrasies revendiquent leur culture, demandant plus d’autonomie, voire l’indépendance. Les exemples foisonnent dans le monde et de nombreux États sont confrontés à ces mouvements d’émancipation. Les échanges entre protagonistes sont plus ou moins pacifiques en fonction du contexte et du mode de communication, selon qu’il s’agisse de l’usage de la force ou du dialogue.
Crédit photo : Elodie Windels