Suspension de l’aide étrangère

Crise humanitaire en Palestine

jeudi 1er juin 2006, par Simon COUTU

Le peuple palestinien est le plus dépendant de l’aide internationale sur la planète. La décision d’Israël, du Canada, des États-Unis et de l’Union européenne de suspendre leurs transferts de fonds à l’autorité palestinienne, depuis la formation d’un gouvernement du Hamas, a d’ores et déjà provoqué une crise humanitaire sans précédent. Cent soixante mille fonctionnaires palestiniens sont sans salaire depuis trois mois. Les systèmes de santé et d’éducation manquent cruellement de ressources. « L’idée, c’est de les mettre à la diète », affirmait récemment Dov Weisglass, conseiller du premier ministre israélien, Ehud Olmert.

RAMALLAH - Au cours des quatre derniers mois, quatre patients de l’hôpital Shifa sont morts à la suite d’une réduction du tiers des dialyses hebdomadaires. Les départements de gynécologie et celui qui traite les grands brûlés sont maintenant fermés. Dans cet hôpital de la bande de Gaza, on ne pratique que les opérations les plus urgentes. Les traitements pour les hernies, les vésicules biliaires et les hystérectomies ne sont plus effectués.

À l’hôpital de Ramallah, la situation s’est aussi grandement détériorée. « Déjà, on ne peut plus pratiquer de chimiothérapie, les fluides nécessaires pour les dialyses sont pratiquement vides, et on craint de manquer d’antibiotiques dans les prochains jours », affirme le directeur, Dr Hosni Atari.

Alors que le ministère palestinien de la Santé est responsable de 64, 5 % des besoins médicaux de sa population, hôpitaux et cliniques sont au bord du précipice. « La communauté internationale pousse le système de santé à basculer vers une grave crise », soutient le docteur Yahya Shawar, président de l’Association médicale palestinienne. « Dans trois semaines, on peut s’attendre à ce que près de la moitié des réserves de médicaments soient épuisées. Un ou deux mois de plus et c’est la totalité des stocks qui sera écoulée. »

En récoltant 42,2 % des suffrages lors des élections du 25 janvier dernier, le Hamas a acquis 74 des 132 sièges du Conseil législatif. Sitôt la création de son gouvernement annoncée, le Canada, suivi des États-Unis et de l’Union européenne, ont suspendu leur aide financière à l’Autorité palestinienne, tant et aussi longtemps que le Hamas ne reconnaît pas à Israël le droit d’exister, ne renonce à la violence et ne reconnaît le processus d’Oslo. Cet arrêt de l’aide internationale, s’ajoutant au gel du transfert des taxes perçues par l’État israélien, se traduit par un manque à gagner mensuel de 147 millions de dollars US pour l’Autorité palestinienne - soit 83 % de son budget régulier.

Le docteur Atari dénonce ces sanctions collectives. « Les Palestiniens n’ont rien fait de mal, ils n’ont fait que voter. Nous vivons dans une démocratie, le résultat du scrutin ne devrait pas mener à une punition telle qu’on la vit. C’est la communauté internationale qui est responsable de cette crise, c’est à elle de trouver une solution. »

« Les coffres des ministères des Finances et de la Santé se vident. Les finances de notre hôpital dépendent de ces ministères », déplore-t-il. « On ne peut plus renouveler nos stocks, même sur le marché local. » Et cette situation ne se limite pas aux institutions publiques, fait remarquer Dr Atari. Certaines ONG, qui travaillent en collaboration avec le ministère de la Santé, sont aussi victimes de la suspension de l’aide internationale.

Le professeur israélien Zvi Bentwich, épidémiologiste et membre du conseil d’administration de Physicians For Human Rights - Israel (PHR) s’inquiète des conséquences de cet état critique. « Normalement, le système de santé dans lesTterritoires occupés est en état de crise chronique. On fait maintenant face à une crise urgente. C’est la situation la plus grave à laquelle le système de santé de l’Autorité palestinienne n’a jamais fait face. »

La détérioration des services de santé a poussé l’organisation de médecins israéliens à lancer une campagne de solidarité au profit des hôpitaux palestiniens. Constatant le « déficit aigu de besoins de base tels que les médicaments et la nourriture » dans les Territoires occupés, PHR s’est senti « moralement obligé de soutenir » ses collègues palestiniens. L’organisation recueille les dons des particuliers et des organisations en Israël et à l’étranger.

Le manque de ressources affecte également tous les moyens logistiques. « La pénurie de carburant fait en sorte que le système d’ambulances ne fonctionne pas adéquatement », commente Dr Rafi Walden, directeur du département de chirurgie de l’hôpital Tel Hashomer, à Tel Aviv. « Les employés n’ont pas eu de salaires depuis trois mois. Certains secteurs fonctionnent présentement avec 60 % des employés réguliers, les autres ne peuvent pas se rendre au travail, faute de moyens. »

Pour apaiser la crise, les membres du quatuor (États-Unis, Russie, ONU et Union européenne), réunis à New York le 9 mai dernier, affirmaient quant à eux vouloir trouver une solution pour payer directement les employés privés de salaires. La Banque mondiale fera en sorte que l’argent ne passe pas entre les mains de l’Autorité palestinienne. De son côté, Israël a décidé de rendre un sixième des taxes de douane destinées aux Palestiniens. Ceux-ci attendent toujours.

Une fin d’année scolaire difficile

Dans son bureau du ministère de l’Éducation à Ramallah, Basri Saleh s’inquiète pour la fin de l’année scolaire. 1,2 million d’étudiants aux niveaux primaire et secondaire et 150 000 universitaires attendent le dénouement de la crise. « Durant la première et la deuxième semaine de juin auront lieu les examens finaux et le Tawjihi, l’examen d’admission à l’université. On ne sait pas si on aura les ressources nécessaires pour imprimer tous les documents. »

La population palestinienne est en pleine expansion. « Chaque année, 50 000 élèves font leur entrée à l’école. C’est une nouvelle gymnastique à chaque fois. » La prochaine rentrée risque d’être corsée. Le représentant du ministère de l’Éducation s’attend au pire. « On pense déjà à fermer des écoles. On a plus d’argent. Si ça persiste, on va faire face à une horrible situation. »

La crise humanitaire actuelle s’additionne à la misère que connaissaient déjà les Palestiniens. « Les 40 000 professeurs ont besoin de leurs revenus, à peine suffisants pour subvenir aux besoins quotidiens », s’exclame Basri Saleh. Les professeurs gagnent en moyenne 400 $ par mois, rappelle-t-il.

Certains craignent que la situation ne renforce la position du nouveau gouvernement islamiste. L’isolement du Hamas, le forçant à se replier sur lui-même et ses alliés (comme l’Iran), risquerait de renforcer le courant islamiste. Mais après tout, n’est-ce pas ce que le gouvernement israélien cherche à provoquer ? Selon Michel Warshawski, du Alternative Information Center, « le plan élaboré par Ariel Sharon et reconduit par le premier ministre Olmert est justement, de façon perverse, de renforcer le Hamas, pour isoler encore davantage les Palestiniens ».

C’est aussi l’avis de Refaat Sabah, directeur du Teacher’s Creativity Center, une ONG d’enseignants palestiniens qui travaille pour assurer un climat sécuritaire dans les écoles. « Beaucoup de gens se tournent vers Hamas car c’est la seule porte qui semble rester ouverte », une situation qui affaiblit le camp laïc et démocratique.

De bien mauvaises prophéties

Selon la quatrième Convention de Genève de 1949, une puissance qui occupe un pays est aussi responsable du bien-être de sa population. « On doit arrêter de croire que le gouvernement israélien est trop occupé par les questions de sécurité et de prévention du terrorisme, dénonce le professeur Zvi Bentwich. On demande au gouvernement israélien d’hospitaliser tous les cas les plus urgents, sans condition de paiement. »

Un rapport de la Banque mondiale publié le 7 mai dernier laisse entrevoir « un déclin dramatique de l’économie dans les huit prochains mois ». L’organisation entrevoit que le taux de pauvreté passera de 44 à 67 %, et le taux de chômage de 23 à environ 40 %.

Plusieurs médecins israéliens et palestiniens dénoncent le fait que la population civile soit prise en otage de la sorte. « Il faut que la communauté internationale considère enfin les Palestiniens comme des êtres humains, s’exclame Dr Yahya Shawar. On ne veut pas détruire l’État d’Israël. Si le système de santé s’effondre, tout le reste risque de tomber à son tour. »


Étudiant en journalisme, l’auteur est actuellement en reportage dans les Territoires palestiniens.

Physicians for Human Rights : www.phr.org.il

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