« On va continuer à manifester tant que Chavez ne partira pas ! » affirme Maria-Carmen, une jeune étudiante vénézuélienne de 19 ans qui habite La Florida, un quartier aisé de Caracas. Selon elle, Chavez veut convertir le Venezuela en un deuxième Cuba. Elle ajoute : « Nous lutterons pour cette cause [le départ de Chavez] jusqu’au bout ».
Alors qu’un peu partout en Amérique latine, ce sont les pauvres qui descendent dans la rue pour défendre leurs droits, au Venezuela, on assiste à une révolte des milieux bien nantis qui se dressent contre les politiques instaurées par le gouvernement en place.
Malgré les réformes sociales appliquées par Chavez, de plus en plus de personnes défavorisées affichent ouvertement leur mécontentement vis-à-vis le gouvernement et se joignent à l’opposition encore divisée et non représentative de tous les secteurs du pays.
Démocratie ou dictature ?
Les opposants de Chavez le qualifient de « tyran » et son gouvernement de « dictatorial ». Et pourtant, l’arrivée au pouvoir de l’ex-colonel Hugo Chavez s’est faite dans le respect de la démocratie. Il a été élu comme président en 1998 par 56 % des électeurs, avec l’appui des masses défavorisées (80 % de la population vénézuélienne vit sous le seuil de la pauvreté), exaspérées par la flagrante corruption qui a miné les gouvernements précédents et l’écart social croissant entre riches et pauvres.
Dès son entrée en fonction, Chavez a entrepris une réforme politique, en commençant par l’élection d’une Assemblée nationale suivie par la tenue d’un référendum sur la nouvelle constitution en 1999. Cette dernière a été approuvée par 71 % des électeurs. La République bolivarienne du Venezuela, qui venait ainsi d’être créée, tire ses fondements et son nom de la doctrine libertaire de Simón Bolívar, grand héros des Amériques et vainqueur des forces espagnoles au XIXe siècle.
Une série de réformes en faveur des plus démunis ont été ensuite adoptées, ainsi que des lois plus sévères pour les mieux nantis, afin de contrecarrer l’évasion fiscale qui caractérisait jusqu’alors le pays. Dès le départ, les résultats des politiques sociales et économiques du gouvernement ont été positifs sur le plan social. La création de milliers d’écoles et de logements sociaux, un meilleur accès au micro-crédit et à des traitements médicaux gratuits ont été quelques-unes des réussites de ce qu’on a appelé la Révolution bolivarienne.
Pour ou contre Chavez
Vers la fin de l’année 2001, Chavez fit approuver une nouvelle série de réformes, telles que l’adoption de 49 lois révolutionnaires dont la Loi sur les hydrocarbures. Ces lois trouvèrent immédiatement une vive résistance au sein des classes aisées et du patronat qui les ont interprétées comme étant confiscatoires, étatistes, voire communistes et portant atteinte à l’entreprise privée et à la liberté.
Il a fallu peu de temps pour que les syndicats, par la Centrale des travailleurs du Venezuela (CTV), se joignent au patronat, lui-même représenté par la Chambre de commerce (Fedecámaras). Avec l’aide des médias de masse et des partis politiques traditionnels, ils ont formé une puissante et inusitée alliance qui avait pour objectif de rectifier la politique socio-économique du gouvernement ; elle demande maintenant le départ de Chavez.
L’opposition accuse le président « d’avoir entraîné les pauvres contre les riches ». Or, la polarisation du Venezuela est tout autre, nous confie la chanteuse d’origine vénézuélienne Soraya Benitez, qui fait carrière au Québec depuis quelques années. Selon Mme Benitez, il existait bel et bien une différence des classes, mais aujourd’hui la division se manifeste d’abord et avant tout par la position de chacun à l’égard des politiques du président. On choisit son camp : pour ou contre Chavez.
Le 10 décembre 2001, la première grève générale frappe et paralyse partiellement la capitale, marquant ainsi le début officiel d’une escalade des moyens de pression qui, avec la débâcle de la monnaie nationale vis-à-vis du dollar, la fuite des capitaux et les problèmes économiques résultant en partie de l’instabilité politique, ont fomenté le chaos nécessaire pour donner un coup décisif au gouvernement. C’est ainsi qu’a eu lieu le coup d’État manqué du 11 avril 2002.
L’enjeu : le pétrole
Plusieurs observateurs s’entendent pour affirmer que l’enjeu actuel du conflit au Venezuela réside presque exclusivement dans la production pétrolière du pays, ou plutôt dans le contexte politique dans lequel cette production doit avoir lieu. Elle se concentre dans Petróleos de Venezuela (PDVSA) qui, sur papier, est une entreprise d’État. Dans les faits, PDVSA est une entité étatique très autonome qui ne fait certainement pas fait exception à la règle quant à la corruption généralisée qui existait au Venezuela depuis des décennies.
La Loi sur les hydrocarbures, qui fut adoptée dans la vague des lois révolutionnaires, était justement destinée à reprendre le contrôle de PDVSA ainsi qu’à réduire la grande part des profits que retirent les partenaires étrangers du Venezuela (Shell, Exxon Mobil, etc.) Cette loi exige que l’État soit actionnaire majoritaire de toute entreprise pétrolière, le pétrole étant la ressource principale du pays.
Ces réformes ont évidemment déplu aux partenaires étrangers, notamment aux États-Unis dont le Venezuela est le troisième fournisseur de pétrole. Ces lois ont aussi déplu à l’élite locale vénézuélienne qui, dans la personne du putschiste Pedro Carmona (président de Fedecámaras au moment du coup d’État d’avril 2002) avait trouvé le moyen de privatiser cette ressource première.
La crise au quotidien
La grève générale déclenchée par l’opposition depuis le 2 décembre persiste toujours. PDVSA s’est joint à la grève en sabotant la production pétrolière du Venezuela, tombée à un niveau critique, obligeant même le pays à importer des hydrocarbures. Les pertes s’élèvent à plus de quatre milliards de dollars.
Cette grève ne se limite pas qu’aux grandes entreprises et aux secteurs les plus aisés, mais s’étend aussi aux petites et moyennes entreprises, parfois même aux quartiers les plus défavorisés. Même si un grand nombre de personnes défavorisées soutiennent Cha-vez, la polarisation politique sévit également parmi eux. La corruption fait maintenant place au clientélisme politique qui tient beaucoup plus de l’irresponsabilité économique que d’une nouvelle et subtile forme de corruption.
Si la stratégie de l’opposition est claire et concise - elle consiste à étrangler économiquement le pays pour forcer le départ de Chavez ou pour engendrer tout au moins des élections anticipées - la stratégie du gouvernement l’est moins. Celui-ci accepterait, selon la Constitution, un référendum en août prochain sur la révocation de la présidence de Chavez. Par ailleurs, un groupe d’ « amis du Venezuela » s’est créé, composé de quelques pays, dont le Brésil et son président Lula en tête. Ce groupe vise à trouver une sortie démocratique à l’impasse actuelle. L’avenir est des plus incertains pour ce pays qui détient les atouts économiques pour être une nation prospère à tous les niveaux.
Olik Valera, collaboration spéciale