La scission a été provoquée par
la décision des membres de deux
des plus grands syndicats affiliés
à l’AFL-CIO de quitter l’organisation
pour en créer une nouvelle, du
nom de Change to Win. Ces deux
syndicats sont le Service Employees
International Union (1,8 million de
membres), présidé par Andrew Stern,
et les Teamsters (1,4 million de membres),
présidé par James Hoffa, fils du
célèbre Jimmy Hoffa.
D’autres syndicats s’apprêteraient à
en faire autant : la United Food and
Commercial Workers Union (1,4
million de membres), l’Unite Here
(400 000 membres) et l’Union de la
confrérie des menuisiers de l’Amérique
(1 million de membres). Au
total, cela représenterait une perte
d’environ 5 millions de membres sur
les 13 millions de syndiqués affiliés
à l’AFL-CIO. C’est dire à quel point
l’organisation est profondément divisée,
voire en péril.
Cela faisait déjà deux ans qu’Andrew
Stern - l’instigateur de cette scission-
critiquait sévèrement l’AFLCIO
et plus particulièrement son président,
John Sweeney. Stern reproche
à Sweeney de tout miser sur l’éventualité
d’un retour au pouvoir du Parti
démocrate, qu’il a beaucup appuyé,
y compris financièrement. Un parti
qui, selon lui, n’a plus de leadership
et rien à proposer au mouvement
syndical. Il souhaiterait plutôt que
l’AFL-CIO se recentre davantage sur le
recrutement de nouveaux membres et
des campagnes de masse pour défendre
les droits des travailleurs.
Le fait est que la situation de l’AFL,
qui a déjà regroupé 33 % des salariés,
est dramatique. Le déclin s’est accentué
dès 1981 lorsque le président
de l’époque, Ronald Reagan, congédiait
12 000 contrôleurs aériens et,
de facto, brisait le syndicalisme dans
ce secteur. Après quoi, le nombre de
travailleurs syndiqués aux États-Unis
n’a cessé de chuter. Aujourd’hui, avec
les Wal-Mart, le « outsourcing » (les
emplois à l’extérieur du pays), la restructuration
du concept même du travail
(les travailleurs autonomes, etc.),
la société post-industrielle axée sur
les services en tous genres (nouvelles
technologies, recherche, santé, éducation,
etc.), l’AFL-CIO ne représente
plus que 12,5 % des salariés, dont seulement
8 % dans le secteur privé.
De leur côté, les dirigeants de l’AFLCIO
accusent Stern d’affaiblir le
mouvement syndical en faisant le jeu
des républicains. Seulement, c’est un
mythe de croire encore que la base
militante vote démocrate, à l’instar
de la direction et des cadres de l’AFLCIO.
Depuis la coalition conservatrice
entre républicains et démocrates,
qui a porté Ronald Reagan au pouvoir
en 1980, les chiffres démontrent
clairement que le tiers seulement des
membres de l’AFL-CIO se dit démocrate.
Le reste se divise à peu près
également entre républicains et indépendants.
Les indépendants votant
surtout pour le Parti républicain.
Manoeuvres des républicains et
du mouvement conservateur
Cette scission offre une opportunité
sans précédent aux républicains et
au mouvement conservateur pour
infiltrer le monde syndical, tout en
essayant de soutirer quelques dollars
à certains des syndicats les plus
à droite. Car le nerf de la guerre des
élections aux États-Unis, c’est l’argent.
Et la nouvelle saison des élections
du mi-terme (2006) débute
bientôt. Ainsi, les Teamsters de James
Hoffa ont fort probablement rejoint
la nouvelle coalition dans le but de
la contrôler. Car les Teamsters sont
proches du Parti républicain. Lors
des dernières présidentielles, ils
ont contribué au financement de la
Republican Governors Association, à
hauteur de 500 000 dollars.
Il est certain que cette crise pourra
avantager à court terme les forces
anti-syndicales, et affaiblir encore davantage le mouvement syndical. Mais
comme l’a écrit Michael Kazin, spécialiste
des mouvements sociaux à l’Université
de Georgetown, à Washington
D.C. : « Il faut que le mouvement syndical
américain s’ajuste à la nouvelle réalité
du domaine du travail, et qu’il se réorganise
pour se doter d’un nouveau programme
avec des nouveaux leaders et des
nouveaux mots d’ordre rassembleurs. »
Ainsi, espérons que l’initiative d’Andrew
Stern et du Service Employees
International Union provoquera à
long terme un renouveau et même
une restructuration, si nécessaires au
syndicalisme américain, pour se donner
un nouvel élan dans l’économie
globale, néolibérale, du 21e siècle.