Crise alimentaire au Niger

La recherche agricole publique au secours des paysans

vendredi 12 juin 2009, par Xavier Leroux

photo : Xavier Leroux

Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, l’a confirmé lors de son passage à Montréal en novembre dernier : malgré une production alimentaire accrue, le nombre d’affamés augmente sans cesse.

La crise alimentaire mondiale a fragilisé les populations les plus pauvres. Selon l’Integrated Regional Information Networks (IRIN) et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la production agricole dans certains pays africains comme le Niger, pourrait chuter de moitié d’ici 2020 [1]. Souveraineté alimentaire oblige, les populations doivent alors mieux définir leurs modes de production et de consommation. Une rencontre en février 2008 avec le docteur Koala, à ce moment directeur de l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides à Niamey, m’a permis de découvrir des solutions à long terme pour un meilleur développement de l’agriculture.

Le Niger est souvent affecté par de mauvaises récoltes. Malgré des subventions de l’État garantissant une certaine stabilité des prix des denrées céréalières, le pays est fragilisé par la hausse du prix du riz. Les grands projets de développement agricole, soutenus par des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, orientent de nouveaux systèmes de production basés sur une agriculture extensive à haut rendement comprenant biotechnologies et intrants agricoles. Ces projets
ont toutefois récemment révélé plusieurs faiblesses : épuisement du sol, grand apport en eau, destruction des petites exploitations et du tissu social, pour n’en nommer que quelques-unes. Les recherches sur les espèces de plantes cultivées par les pauvres sont rares. Elles se concentrent plutôt sur les grandes cultures commerciales intensives et irriguées, comme le coton et le maïs. La recherche agricole privée, dans sa quête de profits, néglige les systèmes paysans vivriers [2] Toutefois, de nouveaux systèmes paysans ont été développés et se présentent comme des alternatives méconnues. Le Bangladesh en est un bel exemple. Un système de digues pour le contrôle des inondations, subventionné par la Banque asiatique de développement, a été mis en place sans respecter les savoirs traditionnels et ancestraux des villageois. Ceci a causé l’inondation de plusieurs territoires et la sécheresse dans d’autres. Au Niger, des recherches publiques visent l’amélioration de la sécurité alimentaire et la croissance de la production agricole vivrière adaptée aux rudes conditions du Sahel.

L’ICRISAT, située près de Niamey au Niger, oeuvre au développement de la recherche agricole publique pour les populations plus démunies. Les innovations agricoles au Sahel permettent de doubler ou tripler les rendements agricoles par rapport aux modes traditionnels de culture. En dépit des contraintes (accès à l’eau, pauvreté du sol, aridité, outillage agricole manquant, etc.), de nouveaux systèmes paysans permettent de produire 12 mois par année, alors que la période traditionnelle de la principale culture du Niger, le mil, est de 3 mois. Si le mandat premier de l’ICRISAT est l’amélioration des variétés céréalières par l’hybridation naturelle, il inclut aussi des programmes pour mieux gérer l’eau et les engrais et permettre la réhabilitation des sols dégradés.

L’écoferme sahélienne a été développée pour les petites exploitations agricoles dépendantes des pluies. Elle propose une diversification des cultures, des variétés maraîchères et d’arbres fruitiers. Ce système comprend la plantation de deux lignes d’arbres fruitiers : l’acacia et un pommier du Sahel, le jijibier amélioré [3]. L’acacia pendant sa croissance sert de brise-vent, mais procure aussi de l’ombrage aux cultures. Ses feuilles servent de combustible et de fourrage. Les paysans ont alors d’autres sources de revenus lorsque les récoltes du mil sont insuffisantes.

Le projet de jardin potager africain concerne davantage les plus petites exploitations, axées sur la culture maraîchère. Les parcelles sont entourées de haies de jatropha, pour l’ombrage et la rétention de l’eau du sol, dont les graines peuvent servir à produire des huiles et du biodiesel. L’irrigation goutte à goutte à partir d’un réservoir d’eau central permet une gestion optimale de l’eau, calculée selon le taux d’évaporation quotidien afin de procurer aux plantes le minimum dont elles ont besoin. La qualité des légumes est améliorée, et ce système permet une économie de main-d’œuvre. Les recherches de l’ICRISAT concernent plus de 150 variétés, protégées par des brevets afin de garantir leur libre accès. Elles sont diffusées par des stages de formation aux paysans sur les nouveaux systèmes et les techniques de greffes des arbres fruitiers. Les foires commerciales permettent la diffusion des nouvelles variétés, grâce aux semences améliorées et arbres fruitiers. L’ICRISAT a constitué la plus grande banque des variétés adaptées aux zones semi-arides et fait la promotion des manguiers, du tamarin sucré, des papayers et des palmiers dattiers cultivés dans ses différentes pépinières. Il est possible de moderniser des systèmes traditionnels afin que les paysans adoptent des techniques de production mieux adaptés à leurs besoins et répondant à leurs contraintes.

Les crises alimentaires dans plusieurs pays déficitaires au niveau céréalier ont suscité une attention médiatique jusqu’ici inégalée. Les grandes institutions internationales actives dans le domaine du développement agricole ont alors réitéré l’importance de mesures de soutien à la production afin de hausser les rendements en Afrique subsaharienne. Les
efforts doivent alors se tourner vers les avancées positives de la recherche agricole publique qui permettent un développement agricole répondant aux besoins des agriculteurs les plus pauvres. Il est important de continuer à questionner la pertinence du développement agricole privé dont la volonté est d’imposer les biotechnologies génétiquement modifiées et les engrais nécessaires à leur croissance. Il est toutefois encore plus urgent de faire connaître les innovations agricoles les mieux adaptées au Sahel, développées localement et qui répondent à la souveraineté alimentaire désirée par les paysans nigériens. Certaines structures de développement
agricole vivrier durable existent, à travers les instituts de recherche publique, mais manquent de moyens.

Un développement agricole des secteurs vivriers permettra de régler les déséquilibres alimentaires et d’en finir avec la dépendance alimentaire de pays entiers. Sans recherche agricole publique, aucun développement durable et respectueux des groupes les plus pauvres n’est possible. Face aux crises alimentaires endémiques et à la hausse du prix des différentes denrées alimentaires sur les marchés mondiaux, le développement agricole s’impose tout naturellement avec des solutions existantes qui gagneraient même à être davantage diffusées en Afrique ou ailleurs.


Xavier Leroux a effectué un stage au Niger avec l’organisme
Alternative Espaces Citoyens en 2008.

Alternative Espaces Citoyens est une association apolitique à but non lucratif, dont la mission est d’œuvrer à l’avènement d’une société fondée sur l’égalité des droits humains et des sexes, soucieuse de la préservation de l’environnement et de la promotion de la jeunesse, et valorisant la solidarité entre les peuples.

Alternative Espaces Citoyens travaille dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté, à travers notamment sa radio basée à Niamey et ses cercles d’études implantés dans toutes les régions du pays. L’organisation utilise également d’autres moyens tels que les documentaires vidéo, les technologies de l’information et de la communication, le théâtre de rue, les activités de formation et les conférences publiques, pour promouvoir les valeurs démocratiques.
www.alternative.ne


[1IRIN, MONDE : Les conséquences du changement climatique – deuxième
partie, http://www.irinnews.org. Page consultée le 14 novembre 2008.

[2AO. La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Les biotechnologies agricoles, une réponse aux besoins des plus démunis, Rome, 2004. p.41.

[3Lire l’intéressant article de Richard Bationo, La pomme du Sahel remplacera-t-elle celle de France ? Burkina Faso, L’Indépendant, 24 juin 2003. www.mediaf.org

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Crédits Alizés, volume 2, numéro 2

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