Transcription
INTRODUCTION : Climat de résistance. Une série podcast du Journal des Alternatives. Épisode 1.
NARRATION :
On dit que les enfants sont le futur.
[Extraits de bulletins d’information]
EXTRAIT 1 : Vagues de chaleur, extinction d’espèces...
EXTRAIT 2 : Océans et sols glacés sont en très piteux état.
EXTRAIT 3 : Des centaines de milliers d’espèces animales et végétales pourraient être menacées d’extinction dans un avenir proche.
EXTRAIT 4 : Donc on repousse toujours à plus tard ce qu’on devrait faire aujourd’hui, ce qui aggrave jour après jour le réchauffement climatique.
EXTRAIT 5 : Et le temps est compté.
NARRATION : Mais quel genre d’avenir les attend ? En 2020, la décision de mettre des enfants au monde apporte son lot de questionnements éthiques par rapport aux impacts écologiques qu’elle suscite. Il y a 7,7 milliards d’humains sur la terre. L’empreinte écologique du Canada augmente d’année en année et le jour du dépassement, soit le jour où l’humanité a consommé ce que la planète peut produire annuellement, survient chaque année plus tôt. Des écosystèmes disparaissent, des îles se font engloutir. Et les industries continuent à exploiter à qui mieux mieux les sols et les cours d’eau, avec la complicité à peine cachée des gouvernements. Avec un rythme de consommation effréné, la dette écologique des pays du Nord est également de plus en plus grande, notre consommation continuant à augmenter sans égards à ses impacts sur les populations des pays les plus menacés par les changements climatiques… et aux générations futures.
Bref, sur papier, tout indique qu’ajouter un être humain sur la terre fait pas exactement partie de la solution, tant pour la planète qui va les accueillir que pour les enfants eux-mêmes. Est-ce qu’on souhaite vraiment leur léguer une planète sur le déclin ? Mais les humains ne sont pas faits en pierre et la décision de devenir — ou pas — parents est aussi déchirante qu’elle est complexe. Dans l’épisode 1 de la série Climat de résistance, qui s’intéresse aux luttes citoyennes mises en place pour faire face aux enjeux climatiques, on est allé à la rencontre de trois personnes qui sont sensibilisées à la cause environnementale et qui ont dû faire un choix.
[Pont musical et extraits de sons de manifestation et bulletin d’information]
EXTRAIT 6 : We want to make people rise up. We want to make people join us.
EXTRAIT 7 : A group of activists angered by political inaction on climate change declared themselves to be in open defiance of the UK government.
NARRATION : Le 17 novembre 2018, 6000 personnes se sont donné rendez-vous sur l’un des cinq ponts principaux de Londres pour passer un message : notre planète est en danger et il faut cesser de l’ignorer. Alexandra était là, aux côté d’autres membres d’Extinction Rebellion sur le pont Blackfriars. Ce mouvement de désobéissance civile initie des manifestations pacifiques qui visent à inciter les gouvernements à revoir leurs politiques sur le climat.
ALEXANDRA (doublage en français) : Je ne m’étais pas sentie aussi vivante depuis des années. C’est très puissant comme sentiment, de s’asseoir comme ça, de physiquement pouvoir utiliser son propre corps pour participer au blocage d’un pont. C’était vraiment symbolique. Et pour la première fois, je ne me suis pas sentie seule car je partageais ce moment avec des milliers de personnes.
NARRATION : Si Alexandra a décidé de prendre part à la manifestation, c’est parce qu’elle est consciente de l’étendue du problème écologique. Tellement consciente, en fait, qu’elle a décidé qu’elle ne mettrait pas d’enfants au monde. C’est une décision qui l’a prise par surprise.
ALEXANDRA : Je n’y avais pas vraiment pensé jusqu’à ce que mon partenaire me dise qu’il aimerait avoir un enfant. C’est ce moment-là que je me suis dit : « je ne pense pas pouvoir le faire, parce que je m’inquiète trop de l’avenir et du genre d’avenir que cet enfant-là aurait ». Et c’est la première fois que j’ai réalisé : « ok, j’ai pris une décision ».
C’était une situation étrange, il y avait beaucoup d’émotions, beaucoup de sentiments que je n’arrivais pas à gérer parce que jusque-là, je n’avais pas vraiment osé y penser.
J’ai 37 ans maintenant. Donc, oui, il y a environ deux ans, les gens autour de moi ont commencé à avoir des enfants et je me suis dit : « Oh... ça a l’air d’être quelque chose, mais je ne veux pas y penser », c’est un sujet que j’avais tout simplement nié.
NARRATION : Jusqu’à ce moment-là, la réflexion entourant la décision d’avoir des enfants avait été relayée au second plan, loin dans sa tête où elle n’aurait pas à confronter la réalité d’un avenir sans enfants. Mais une fois les mots sortis, la décision assumée, elle a dû faire face à un problème qu’elle n’avait pas anticipé…
ALEXANDRA : Je me sentais profondément seule.
NARRATION : La solitude.
ALEXANDRA : Parce que tu te dis « personne d’autre ne se sent comme moi. Je n’ai personne à qui parler ». Parce que tous mes amis avaient des enfants. Je ne pouvais pas avoir cette conversation-là avec eux, j’avais trop peur de ce qu’ils penseraient de moi. Et ça me faisait peur de penser que notre amitié pourrait en souffrir. Je voulais tellement pas qu’ils pensent que je les juge, que c’est une mauvaise décision. C’est pas du tout ce que je pense. Je pense seulement que c’est une décision qui est très très personnelle, très individuelle. Je me suis sentie seule pendant un bon moment, puis j’ai entendu parler du mouvement Birth Strike.
NARRATION : BirthStrike comme dans « la grève des naissances ». BirthStrike, c’est un mouvement international de femmes qui, en réponse aux craintes d’effondrement climatique et civilisationnel, se sont engagées à ne pas avoir d’enfants tant et aussi longtemps que les gouvernements auront pas démontré la volonté politique d’agir sur le fond du problème. Né à la suite d’une prise de conscience subite et impérative de la militante et chanteuse britannique Blythe Pepino, le mouvement tente d’attirer l’attention des décideurs publics sur l’urgence de la situation. Deux semaines après la sortie publique de Blythe, fin 2018, déjà 140 jeunes femmes s’affichaient comme BirthStrikers.
ALEXANDRA : Je dirais que ça n’élimine pas la solitude, mais un ça atténue un peu la tristesse parce que ça confirme que d’autres personnes ressentent et pensent les mêmes choses. Et ça, en même temps, c’est triste, le fait qu’on soit tous dans cette position. D’un autre côté, c’est une façon de partager la tristesse et de se dire « je ne suis pas seule dans tout ça, je ne suis pas une anomalie ».
NARRATION : En fait, elle est loin d’être la seule à avoir renoncé à la parentalité. À ce jour, près de 5400 personnes ont signé la pétition « No Kids No Future » initiée par Emma Lim, une adolescente canadienne. En s’associant à ce mouvement, les signataires s’engagent à faire une grève de la parentalité et refusent de donner la vie à un enfant s’ils ne peuvent pas garantir la sécurité des générations futures.
Mais si cette décision de ne pas avoir d’enfants est bien comprise dans les cercles tels que Birth Strike et Extinction Rébellion, ça reste un sujet qui demeure tabou et qui peut être mal reçu.
ALEXANDRA : C’est comme un soi-disant rôle, qu’on a en tant que femmes. C’est ce qui est attendu de nous, et quand on ne suit pas cette voie, ça ne passe pas inaperçu... Je me suis souvent fait demander : « quand allez-vous avoir un enfant ? », Pas « si... ». C’est comme si on suppose que si je peux avoir des enfants, évidemment que j’en aurai. Les rares fois où j’ai mentionné à quelqu’un que je n’aurai pas d’enfant, la réaction est toujours « il y a quelque chose qui ne va pas, il y a quelque chose qui cloche ». Dans le sens, physiquement. Parce qu’ils ne peuvent pas concevoir que c’est ma décision. C’est comme « elle doit avoir de la difficulté à concevoir. Autrement, pourquoi ne voudrait-elle pas un enfant ? »
J’en ai parlé à ma famille et mes parents ne sont pas d’accord avec moi. On a décidé de ne plus trop en parler. Il vit un deuil... Mais il a été d’un soutien incroyable depuis le premier jour. C’est dur pour lui mais il me dit « en fin de compte, c’est ta décision, et je respecte ça ». Il n’est pas d’accord, mais il respecte ma décision.
Et ça, c’est très difficile pour moi, parce que ça me donne l’impression d’être inadéquate. C’est vraiment décevant parce que je pourrais lui donner ce qu’il veut. Mais en même temps, non... je ne peux pas le faire.
NARRATION : Elle ne peut pas le faire. Parce que, pour Alexandra, avoir des enfants, c’est accepter de les exposer à un avenir incertain où les catastrophes naturelles seront plus fréquentes, plus puissantes.
ALEXANDRA : Et j’ai de la colère. Mon Dieu, que j’ai de la colère.Et j’essaie de voir cette colère comme un genre de carburant qui permet de continuer à avancer. Au lieu de rester coincée dans ces sentiments-là et de tout garder pour moi, je me suis dit : « Je vais utiliser ma colère pour faire quelque chose. J’essaie donc d’utiliser mes émotions soi-disant “négatives” pour accomplir quelque chose d’un petit peu plus positif. »
NARRATION : Bien qu’elle nourrisse des craintes pour le futur, Alexandra a toujours espoir dans la force de la communauté. Elle croit en la force du nombre et en la capacité de mobilisation pour le climat..
ALEXANDRA : Je rêve d’un jour où on serait plus connectés. Pour qu’on réalise qu’on fait tous partie de quelque chose de plus grand, que nous sommes tous ensemble, comme les pièces d’un casse-tête. Quand on se met ensemble, on forme une image complète. Le jour où on comprendra ça, rien ne pourra nous arrêter.
[Pont musical]
NARRATION : La décision de ne pas avoir d’enfants vient d’un sentiment d’urgence. Les couples qui prennent cet engagement et écoutent l’alarme climatique plus que l’horloge biologique sont dans la marge. Mais pour tous les autres, la réflexion fait son chemin et amène parfois à des endroits surprenants, comme dans le cas de Krystel.
[Rencontre Krystel et Eva]
Salut, ça va ?
Oui, merci
Attention tes clés sont dans la porte.
Ça m’arrive tout le temps !
NARRATION : Krystel M. Papineau est maman d’Éloi, 8 ans et Lou, 6 ans. Et ces enfants-là, elles les a voulus du fond de son coeur.
KRYSTEL : Moi, j’ai su que je voulais être maman assez tôt dans ma vie, mais en fait je me demande si c’est pas un peu mon rôle de femme qui m’était comme un peu imposé, comme quoi quand t’es femme tu dois avoir des enfants. Donc, c’est peut-être un peu la société qui me disait qu’il fallait que j’aie des enfants pour être une femme épanouie, quand j’y repense... Mais j’ai comme eu un appel vraiment, donc, fort, début trentaine, j’avais à peu près 32 ans mais c’est vraiment l’horloge biologique-là qu’on dit... Si ça existe ou ça n’existe pas, je sais pas, mais moi c’était très, très fort en dedans de moi.
C’est comme tu le ressens dans ton ventre en fait, c’est physique aussi. Puis c’est comme si t’as ce besoin-là, de… c’est un besoin, ça devient quasiment un besoin fondamental comme manger. C’est comme si tu sais que tu vas être libérée de ça ou que tu vas être bien une fois que ça va être fait t’sais c’est fort comme ça…
NARRATION : La carrière de Krystel a été dédiée à la cause environnementale. Elle a entre autres passé près de 9 années chez Équiterre.
KRYSTEL : En étant dans le milieu environnemental, je me questionnais justement sur la maternité parce que je voyais un peu sur les sujets sur lesquels on travaillait, surtout les changements climatiques. Déjà, je savais un peu ce qui s’en venait ou ce qu’on prévoyait. Donc c’est sûr que j’avais pas l’esprit clair à savoir que les années à venir allaient être super roses et tout ça.
NARRATION : Lorsqu’elle a souhaité fonder une famille, Krystel s’est tournée vers des collègues militants environnementalistes qui ont eu des enfants et qui l’ont rassuré dans son désir de devenir maman.
KRYSTEL : Je me suis dit, bon s’ils ont fait leurs enfants, eux ils ont confiance à ce qui s’en vient puis que les choses peuvent changer finalement ou se modifier et donc... Pas aller vers le pire, mais aller vers le mieux finalement.
NARRATION : Près d’une décennie après ces conversations, l’optimisme de Krystel s’est terni.
On parle aujourd’hui de l’écoanxiété, ce que certains vont jusqu’à annoncer comme étant le mal du siècle. Krystel fait partie de ceux et celles qui en souffrent. L’écoanxiété, c’est la détresse suscitée par l’incapacité de changer les choses face aux conséquences prochaines annoncées du réchauffement climatique. Un sentiment d’impuissance qui vient avec des symptômes réels de fatigue, dépression, insomnie…
KRYSTEL : Je suis devenue de plus en plus écoanxieuse avec le temps, en fait, c’est ça qui s’est passé. À cause de ce qui s’est passé... à un moment donné t’as le rapport du GIEC qui sort... en fait, moi j’ai toujours eu accès à beaucoup d’information à cause de la nature de mon travail aussi puis la curiosité que j’ai sur le sujet. Donc à un moment donné, plus tu connais des choses, plus ça te préoccupe et tout ça. Puis, c’est aussi moi mon écoanxiété est beaucoup reliée à ce qui est d’actualité ou ce qui est politique.
Ça s’est beaucoup manifesté quand Harper à été élu, ça a commencé comme ça. Il y a eu Trump aussi... Quand Justin Trudeau a acheté un pipeline, t’sais c’est tous ces espèces de moments-là que je fais : « Ah non ! Pourquoi qu’il fait ça ! » pis là, pour moi directement je fais le lien avec mes enfants. J’suis comme : « Oh là, t’sais, qu’est ce qui se passe ? ». C’est comme si là ça crée comment dire...un doute sur leur avenir, sur ce que je vais pouvoir leur donner comme avenir à mes enfants.
T’sais quand on est écoanxieuse en fait, qu’est-ce qu’on cherche c’est vraiment de se dire : « qu’est ce que je peux faire le plus possible pour que mes enfants, premièrement soient éduqués, puissent comprendre les choses, être sensibilisés. »
Je suis la fatigante qui va toujours être en train de dire : « okay, on s’en va faire de la randonnée, okay, on s’en va au jardin botanique, okay... ». Pour que, encore une fois, mes enfants soient en contact avec la nature. Parce que pour moi, tu veux la protéger cette nature là si tu la connais pis si t’as passé du temps dedans.
NARRATION : Ses enfants en connaissent beaucoup sur l’environnement, mais pour Krystel, c’est important qu’ils n’en sachent pas trop.
KRYSTEL : Je ne dis pas tous les faits à mes enfants. Pis je me suis questionnée, j’ai dit ah peut-être qu’un jour, ils vont me dire : « Ah maman, tu nous a caché la vérité » mais je pense que je dis les choses mais avec un langage d’enfants. Puis je veux pas non plus enlever toute la naïveté qu’ils ont. Je pense aussi qu’il peut quand même émaner des belles choses pour leur avenir. J’essaie de me raccrocher à ça même si des fois c’est vraiment difficile. Mais je vais pas dire : « Oh, ton avenir-là ça s’en va vers la catastrophe puis tout ça... » Je vais pas là. Mais je nomme des faits qui ne traumatisent pas. Je veux pas les emmener à un traumatisme, dans l’anxiété ou dans le stress. Mais je veux qu’ils soient allumés, qu’ils comprennent que ça fait partie de leur monde tout ça.
NARRATION : Elle voit pourtant comment ses enfants pourraient faire partie de la solution. Ce qu’elle dénonce, c’est de se faire imposer un choix contre nature comme conséquence à des décisions humaines sans précédent.
KRYSTEL : Si on arrête de faire des enfants, peut-être qu’on peut pas voir le changement arriver. C’est à voir comme parent si tu veux prendre ce risque-là et de croire, avoir de l’espoir en l’avenir et dire mais mon enfant peut aussi changer les choses et faire partie de ce changement social-là. Ça peut être aussi cette façon de voir.
Mais c’est sûr qu’avoir des enfants puis rester dans le mode de consommation qu’on a actuellement, c’est pas possible. Donc c’est ça aussi le problème, c’est notre mode de consommation qui fait en sorte que, avoir des enfants, est-ce que c’est une bonne idée ? Avec ce modèle d’économie-là, le modèle capitaliste et tout ça, pour moi ça ne fait pas de sens.
Moi j’ai eu vraiment l’horloge biologique super fort et tout ça ça fait que je dirais si vous voulez des enfants, allez-y. C’est tellement une belle aventure puis en même temps je trouve ça tellement triste que... en fait ce soit la société ou le monde dans lequel on évolue qui fasse en sorte que ça joue sur ta maternité, t’sais. Parce que, t’sais avoir des enfants, pour moi, c’est la plus belle chose au monde. Et puis après, est-ce que tu te prives de pouvoir mettre des enfants au monde... C’est une tristesse infinie pour moi. Mais en même temps, c’est à savoir si t’es capable de prendre le risque qui est de ne pas trop savoir qu’est-ce qui va être là pour eux, l’avenir. Des fois je me dit, est-ce que c’est un choix égoïste en même temps peut-être t’sais de faire des enfants actuellement, peut-être ?
NARRATION : Tout comme Krystel, Thierry et sa conjointe Geneviève travaillent dans le milieu de l’environnement depuis plusieurs années. Tous deux croient fondamentalement en l’importance de rapprocher les enfants de la nature. La décision d’avoir des enfants est apparue très tôt dans leur couple, en toute conscience de la crise écologique. Dans leur cas, la prise d’action n’est pas passée par le rejet de la parentalité, mais plutôt par la décision de joindre une communauté tissée serrée, de quitter la ville pour aller s’établir en région, là où l’accès à la nature est facile et le contact humain est primordial.
THIERRY : Je m’appelle Thierry, je suis le papa de Loïse, trois mois. Je travaille en environnement, plus spécifiquement en gestion des déchets, donc les projets d’économie circulaire, compostage, recyclage, et en réduction des gaz à effets de serre. Puis j’ai 32 ans.
Donc nous avant de prendre la décision d’avoir un enfant, on a eu une réflexion, on s’est assis pis on s’est dit : bon, on sait que mettre un enfant au monde dans ce monde qui s’en va de plus en plus vers une forme de chaos, un enfant qui serait un enfant occidental, donc qui naîtrait dans un monde où on consomme déjà beaucoup, on savait que ça avait des répercussions à la fois sur l’environnement pis à la fois sur la société, donc on s’est dit « on doit avoir très honnêtement cette réflexion-là », pis se demander si c’est une bonne idée.
Pis en même temps, essayer de ne pas non plus se surculpabiliser. Parce que je pense qu’on vit dans un monde qui est complexe, on essaie de toujours prendre des bonnes décisions sur plein de plans, la famille, les amis, travail, cohérence avec nos valeurs, etc.
NARRATION : En réfléchissant à leur décision, lui et Geneviève se sont rendus compte que trois éléments avait pesés dans la balance.
THIERRY : Une décision qui est basée un peu sur trois tiers si on veut : il y a un tiers qui est de l’égoïsme d’une certaine manière, parce qu’on a toujours voulu avoir un petit bébé, avoir notre petite famille, un peu dans la vision traditionnelle de la famille à l’occidentale, pis aussi dans l’idée d’avoir notre petite équipe qu’on promène un peu partout sur la planète pour réaliser des aventures. Un autre tiers qui est du déni. Bon, les enjeux sont graves, mais il y a du monde qui travaille sur la planète à y faire face, on est pas tout seul, le monde va bien aller, on se donne des objectifs comme société. Pis un autre tiers qui est de l’optimisme, est-ce qu’on va créer un être humain qui va devenir un agent de changement, est-ce qu’on va réussir à lui donner les valeurs… les mêmes valeurs que nous, un esprit critique, des outils aussi pour faire face à ça. Mais j’dirais que la partie qui prend le plus de place, c’est une forme d’égoïsme malheureusement, c’est la vision qu’on avait de notre petite cellule familiale.
NARRATION : Lorsqu’il pense au futur de Loïse, Thierry sait que tout ne sera pas rose… Un récent article a confirmé que la Terre pourrait se réchauffer de 7 degrés d’ici 2100, confirmant le scénario catastrophe annoncé par le GIEC.
THIERRY : Des écosystèmes complets sont détruits, ça implique que des réserves d’eau douce de la planète vont disparaître, ça implique que littéralement notre mode de vie va devoir… va changer, on va être forcés de le faire. Ça fait qu’on a eu longtemps l’option de changer nous-mêmes notre mode de vie, de s’adapter, d’essayer de revoir nos pratiques, de voir quelles sont les bonnes et quelles sont les moins bonnes, et on ne l’a pas fait. Et là on va être de plus en plus en mode réaction. Et non pas en mode action.
C’est ça qui fait peur. Je pense que Loïse de son vivant dans les prochaines années et nous aussi d’ailleurs, on va devoir faire face à ça mais un peu dans l’urgence. Pis on aura pas une grosse marge de manoeuvre, ça fait que ça, ça me stress pour elle.
NARRATION : Là où ils trouvent leur espoir, c’est dans l’esprit de communauté qu’ils vivent quotidiennement dans leur milieu de vie. Une sorte de filet social positif, résilient, tourné vers la solution.
THIERRY : Nous on se dit comme famille, c’est qu’on veut lui donner le don de la résilience pour faire face à ça. Mais qu’est-ce que c’est la résilience, ben c’est d’avoir des liens sociaux plus forts, de grandir dans une communauté où les gens se tiennent. Où les gens ont des connaissances qu’ils partagent, des outils qu’ils partagent, des ressources qu’ils partagent, de donner aussi la compréhension de la nature, de ses mécanismes, des choses comme ça. Ça peut ressembler à du survivalisme, mais c’est pas tant ça qu’on veut lui donner, c’est plus une communauté pis des outils pour faire face à ça. C’est pas mal le mieux que je pourrais faire dans ce contexte-là.
NARRATION : Le 27 septembre dernier, lui et Geneviève ont participé à la manifestation monstre qui a eu lieu dans les rues de Montréal, et ils en ont profité pour rappeler aux Québécois de penser aux générations futures. En évoquant ce moment très puissant de notre histoire récente, Thierry a eu du mal à cacher son émotion.
THIERRY : J’avais Loïse sur moi dans le porte-bébé toute la marche, pis c’était vraiment émouvant là, j’ai eu plusieurs fois le « motton »… pis les gens nous disaient : « Pour Loïse ! ». Parce que nous on avait une pancarte où c’était écrit : « Loïse aura 81 ans en 2100 ». Ça fait que les gens adressaient, nous disaient finalement : « On est là pour Loïse ! On est là pour son avenir ! ». Pis ça c’est vraiment venu me chercher.
NARRATION : La marche du 27 septembre a réuni près de 500 000 personnes. Une marée humaine constituée d’individus de tous les âges qui scandaient en un seul souffle « Ça suffit ! Écoutez-nous ! Agissez ! ».
Mais le plus frappant de ce mouvement-là sans précédent, c’est la prise de position politique de toute une génération encore sur les bancs d’écoles. Des jeunes du secondaire qui choisissent de prendre la rue pour faire entendre leur voix et nommer sans détour leur avenir hypothéqué par des décisions irresponsables.
L’élément générationnel du mouvement pour le climat est indéniable. Est-ce qu’on pourrait imaginer que dans quelques années, la décision d’avoir ou non des enfants se posera systématiquement ?
THIERRY : La discussion, la réflexion qu’on a eue Geneviève et moi par rapport à avoir un enfant, par honnêteté d’esprit, je pense qu’à notre époque on est obligé de se la poser. Au moins pour avoir ces réflexions-là, voir, bon, qu’est-ce qui est… c’est quoi l’enjeu finalement de mettre au monde un enfant, en quoi c’est une bonne idée, en quoi c’est une moins bonne idée. Comment est-ce qu’on compte faire face à ces enjeux-là. Pis si on choisit d’avoir un enfant, bien au moins l’éduquer dans la compréhension, de tout ce qu’il y a a savoir sur la planète, puis sur les enjeux qu’on vit actuellement, pour qu’elle soit le plus possible un agent de changement.
NARRATION : Si plusieurs aujourd’hui réfléchissent à deux fois avant de mettre un enfant au monde, renoncent à la parentalité ou essaient de concilier choix parental et écologie, l’emprise de l’industrie des combustibles fossiles sur notre société, elle, reste intacte.
Si on n’identifie pas les raisons de notre empreinte carbone si démesurée, notre enchaînement à système économique inégalitaire et destructeur, le destin écologique de la planète se dirige vers le pire des scénarios. On demande des solutions pour la planète, mais comment faire en sorte que ça pèsent pas sur ceux qui sont les moins responsables du changement climatique ou encore sur le choix des femmes ?
De pair avec les préoccupations de l’impact qu’aurait la démographie mondiale sur le climat, un des risques est l’émergence d’une logique d’ingénierie des naissances qui chercherait à faire porter le blâme sur les pays dont les taux de fécondité sont les plus élevés. Or ce n’est pas le comportement reproductif des populations du Sud global qui met la survie de nos écosystèmes en péril.
Il est minuit moins une, mais on est encore au temps des possibles. Des changements importants sont urgents tout comme de se donner de nouvelles idées pour lutter, de nouvelles pistes pour appeler à l’action et de nouvelles réponses face à nos peurs les plus profondes. Ensemble résister et se donner le rêve d’un avenir fécond.
Crédits
Extraits de reportages et actualités :
EXTRAIT 1 :
Le rapport alarmiste du Giec sur le climat (BFMTV, 7 oct. 2018)
https://www.youtube.com/watch?v=o1PhBwNwjaA
EXTRAIT 2 :
Rapport du Giec : le changement climatique pèse lourd sur les océans et les glaces (France 24, 25 sept. 2019)
https://www.youtube.com/watch?v=_TCDgLc1xes
EXTRAIT 3 :
La destruction de la biodiversité menace l’Homme autant que le climat (France 24, 30 avril 2019)
https://www.youtube.com/watch?v=4GVlelURoRc
EXTRAIT 4 :
Sommes-nous face à un phénomène climatique irréversible ? - 28 minutes - ARTE (25 juin 2019)
https://www.youtube.com/watch?v=UGz4fx6Eatc
EXTRAIT 5 :
« La planète est dans une situation de cancer très avancé », dit Nicolas Hulot (Radio-Canada Info, 11 janvier 2019)
https://www.youtube.com/watch?v=KoJM1yI2wKY&t=778s
EXTRAIT 6 :
Climate protest arrests on Blackfriars Bridge (Real Media, 19 nov. 2018)
https://www.youtube.com/watch?v=mEF76Aty_Tg
EXTRAIT 7 :
Impossible to ignore : Inside Extinction Rebellion | earthrise (Al Jazeera English, 15 juill. 2019)
https://www.youtube.com/watch?v=R4ouNvCNe-0
Musique :
Musique originale composée par Verseau/Verseau
Sauf extrait [de 2:29 à 2:44] :
Titre : acusticjoke (2018) / Auteur : dj re-styler / Source : https://www.jamendo.com/track/1531311/acusticjoke