« J’aime les choses simples », insiste Osman, entre deux bouffées de cigarette. Cette déclaration tient presque du paradoxe lorsqu’il nous parle de la vie mouvementée qui l’a porté jusqu’à Montréal il y a maintenant 29 ans. Il est né en Bosnie-Herzégovine en 1942. À l’âge de deux mois, sa mère l’abandonne dans les buissons alors qu’elle fuyait les bombardements. C’est sa grand-mère et une tante qui l’ont sauvé et élevé.
Il consacre ses jeunes années d’adulte au journalisme, qu’il abandonne à 23 ans, dégoûté : « C’était une saloperie ! tonne-t-il d’un fort accent slave. Les discours des dirigeants communistes étaient plein de mensonges et de propagande ». Il part pour Paris afin d’y perfectionner son français. Il y restera 10 ans. « Je découvrais la liberté ! Je me sentais libre. C’était merveilleux ! ». Il y vit sa bohème en tant que portraitiste à Montmartre. Puis, sur l’invitation d’une Montréalaise rencontrée là-bas, il accepte de faire le grand saut et traverse l’océan... Il s’installe dans la métropole en 1973.
Citoyen du monde... et Québécois
Hélène Côté, sa compagne, entre sur la terrasse en portant un plateau. Tout en servant un délicieux café noir fumant, elle dévoile une autre raison qui a poussé Osman à venir vivre au Québec : Pierre Elliott Trudeau. « C’était un personnage fascinant !, s’exclame Osman. Après tous ces leaders rigides, communistes et désincarnés que j’avais connus en Bosnie, Trudeau véhiculait cette image de liberté qui m’inspirait beaucoup ! » Il fait du Québec sa nouvelle maison.
Lorsque qu’on lui demande s’il a éprouvé de la difficulté à s’intégrer, Osman secoue énergiquement la tête : « J’avais déjà deux frères qui vivaient ici et je connaissais cette amie que j’avais rencontrée à Paris. Puis, je travaillais comme portraitiste dans le Vieux-Port. Petit à petit, mon réseau de connaissances s’est élargi... »
S’il ne s’est jamais réellement identifié aux immigrants, il est toutefois intervenu fréquemment auprès d’eux. « Il a souvent hébergé des réfugiés », lance Hélène. Des Bosniaques ? « Oui, mais aussi des gens d’autres nationalités. Je ne fais pas de différence », ajoute Osman. Le geste vigoureux de sa main indique bien qu’il n’a rien à faire des drapeaux.
Café Sarajevo, pays à part
Osman Koulenovitch a fondé son Café Sarajevo en 1993, alors que les atrocités pleuvaient sur les Balkans. « C’était ma façon de réagir à ce conflit. Je souhaitais avoir un sous-sol dans lequel je pourrais recevoir tous mes amis afin de discuter de cette guerre, de la politique... Philosopher avec des gens de partout. Je ne voulais surtout pas faire de cet endroit un café bosniaque ! »
Petit à petit, la musique a pris possession du café et celui-ci est devenu un lieu culte, empreint de liberté : « Il n’y a pas de règles ici ! Je veux que tout le monde se libère ! Je veux que les gens puissent, pour un instant, vivre de plaisir, de simplicité, de spontanéité et de chaleur humaine. Je veux que ce soit une fusion, le partage d’un bon moment ».
Mais en novembre dernier, des démêlés avec la Guilde des musiciens avaient bien failli signer l’arrêt de mort de la petite institution de la rue Clark. M. Koulenovitch avait alors annoncé la fermeture du Café, décision qu’il a depuis révoqué à la suite des nombreux appuis qu’il a reçus.
Il convient toutefois que l’endroit dérange : « Je suis conscient que le Café Sarajevo est un endroit pas comme les autres et que ça trouble certains. Mais je n’ai jamais voulu en faire un endroit spécial. Il s’est construit de lui-même, grâce aux gens qui viennent ici. Il y a de moins en moins de liberté et de spontanéité aujourd’hui. C’est un peu décourageant... »
Puis, Osman Koulenovitch lève le voile sur son rêve : « J’aimerais que cet endroit devienne un centre de réflexion. Je voudrais que les jeunes y discutent d’avenir, de sagesse, qu’ils y jettent les bases d’un monde nouveau. » Un monde de paix, de liberté et de simplicité.
Annie Richer, stagiaire du programme Médias alternatifs d’Alternatives