« Contrairement à Duvalier, Aristide affirme reconnaître la liberté de presse. Mais dans les faits, les deux régimes se ressemblent », selon Rodson Josselin, photographe et reporter à l’agence de presse Haïti Press Network (HPN) de Port-au-Prince. Appelé à commenter les attaques dont est victime la presse, le président se veut rassurant, et affirme souvent que les journalistes « font des montagnes lorsqu’ils sont victimes de quoi que ce soit ». Le président affirme par ailleurs que ces actes d’intimidation ne visent qu’une certaine presse, associée à la Convergence démocratique, l’opposition au gouvernement Fanmi Lavalas, du nom du parti que dirige Jean-Bertrand Aristide. Comme si cela justifiait de quelque manière la répression. Il y a quelques semaines, lors d’un reportage, Rodson Josselin a été dépouillé de son matériel de travail par un policier lors d’une manifestation où un individu a été tué et une dizaine d’autres blessés : « Au cours des deux semaines qui ont suivi, je n’ai pas dormi chez moi car j’avais déclaré à la presse qu’une action en justice serait intentée contre les policiers en question. »
Souvent confrontés à des policiers hostiles et, les journalistes sont en outre une cible de choix pour les membres des organisations populaires (OP) qui sont en fait des groupes de soutien au pouvoir en place. « Rien ne distingue un membre d’une organisation populaire d’un citoyen ordinaire. Ils sont plus dangereux que la police, car nous ne savons jamais à qui nous aurons affaire. Tu es toujours sur tes gardes, c’est inévitable », commente Rodson Josselin.
Plusieurs journalistes vivent d’ailleurs dans la clandestinité. Pour cette année seulement, plus d’une vingtaine de cas d’agression ou d’intimidation contre les journalistes ont été dénoncés dans la presse haïtienne et par certaines organisations comme RSF ou Amnistie internationale. « Depuis le début de l’année, la situation se dégrade. Un journaliste de Radio Caraïbes a notamment été enlevé et battu par des hommes armés et munis de cagoules. On peut dire ce que l’on veut à la radio, mais il y a un risque. Il y a un prix à payer », indique pour sa part Nadine Dominique, responsable de la mobilisation internationale et secrétaire exécutive de la fondation Eko Vwa Jean Dominique. Le journaliste Jean Dominique de Radio Haïti Inter a été assassiné en avril 2000, de même que le gardien de la station, Jean-Claude Toussaint.
17 décembre 2001
Dans la nuit du 17 décembre, des hommes armés ont pénétré dans le Palais national lors d’une tentative de coup d’État. Après l’annonce de l’attaque, des partisans du gouvernement Aristide ont envahi les rues à travers le pays afin de manifester leur soutien au président Aristide. Des stations de radio, des maisons de membres de la Convergence démocratique et les locaux de ces derniers ont été saccagés par des partisans d’Aristide. Des journalistes ont pour leur part été menacés de mort et d’autres contraints, sous la menace des armes, de scander des slogans comme « Vive Lavalas » (du parti Fanmi Lavalas du président Aristide) ou « Vive Aristide ». Dans son rapport annuel, pour l’année 2001, Amnistie internationale souligne d’ailleurs que l’incapacité des autorités policières à mettre la main sur les responsables des actes de violence et de vandalisme du 17 décembre, laisse croire que les supporters du président Aristide jouissent d’impunité pour leurs actions portées contre les journalistes et les membres de l’opposition. En outre, le nom de Jean-Bertrand Aristide figure cette année sur la liste des 38 prédateurs de la presse de RSF. Le président Aristide et Fidel Castro sont les seuls chefs de tout le continent américain et des Caraïbes à y figurer.
Dans un tel contexte, comment peut-on mettre un frein aux harcèlements et aux intimidations vis-à-vis des journalistes ? Sans la collaboration de l’État et des forces policières, quelles sont les actions envisageables ou possibles pour remédier à cette situation ? « Les choses peuvent changer si la pression internationale se fait forte. On doit également pouvoir compter sur les pays amis d’Haïti pour que la question de la liberté de presse soit abordée et que les fonds sous embargo, destinés à Haïti [plus de 500 millions de dollars US], soient débloqués. Car les conditions de vie des gens se dégradent considérablement. Il faut poursuivre le travail de Jean Dominique pour la liberté de presse et les droits de l’homme afin que justice soit rendue pour toutes les victimes d’actes de violence contre la presse », souligne Mme Dominique.