À 25 ans, Ahmed n’a jamais eu de citoyenneté. Désespéré par les conditions de vie misérables du camp de réfugiés au Liban où il a vécu depuis sa naissance, Ahmed est arrivé au Canada, pays reconnu pour son ouverture envers les réfugiés.
Cette réputation n’est pas sans fondement. Le traitement que le Canada réserve aux réfugiés est enviable comparé à plusieurs autres pays. La détention des revendicateurs du statut de réfugié, par exemple, est rare. Mais le système canadien souffre aussi de lacunes. Avec le changement mis en place par Paul Martin, la situation risque de se détériorer.
Le gouvernement fédéral transfert les opérations de l’exécution de la loi sur l’immigration qui comprend les renvois, la détention et les enquêtes à la nouvelle Agence des services frontaliers. Le Canada suit ainsi l’exemple des États-Unis, dont les services d’immigration relève du Département de la sécurité intérieure. Même si au Canada, la plupart des services d’immigration demeurent à Citoyenneté et Immigration Canada, « le gouvernement semble prêt à sacrifier les intérêts des demandeurs du statut de réfugié afin de répondre aux pressions de la part des États-Unis en faveur d’une harmonisation des politiques avec celles qui sont en vigueur au sud de la frontière », peut-on lire dans un communiqué du CCR.
Selon le Conseil, en plaçant les demandeurs du statut de réfugié sous la responsabilité de la ministre de la Sécurité publique, le gouvernement déclare publiquement qu’il considère les demandeurs comme une menace à la sécurité, plutôt que comme des personnes qui nécessitent la protection du Canada. « Comment peut-on s’attendre à ce qu’une agence soit crédible en ce qui concerne la protection des réfugiés, alors que son mandat premier est l’exécution de la loi et l’interception des personnes à la frontière ? », s’interroge Nick Summers, président du CCR. Une critique qui vient s’ajouter à celles déjà formulées à l’endroit de notre système d’immigration.
Accès restreint
La demande d’Ahmed a récemment été refusée et la décision est finale. « Le Canada est le seul pays développé à ne pas avoir de droit d’appel lorsqu’une demande d’asile est refusée », explique Rabie Masri, militant au sein de la Coalition contre la déportations des Palestiniens. Les revendicateurs n’ont qu’une chance de présenter leur cas.
Depuis le 28 juin 2003, cette décision peut être prise par un commissaire alors qu’auparavant, les revendicateurs étaient entendus par deux membres du tribunal. Le sort de ces personnes dépend donc entièrement du jugement d’une seule personne. En juillet, deux frères palestiniens venant du même camp de réfugiés au Liban ont comparu devant deux personnes différentes. L’un a été accepté comme réfugié, l’autre refusé.
Ahmed fait également partie du tiers des demandeurs du statut de réfugié qui arrivent par les États-Unis. Ces derniers seront bientôt touchés par une autre mesure, fortement contestée, visant à augmenter la sécurité contre le terrorisme. En vertu de l’accord du « pays tiers sûr » signé entre le Canada et les États-Unis en juin 2002, le Canada aurait le droit de renvoyer des personnes à la frontière américaine sans même leur fournir l’opportunité de demander refuge au Canada. Selon le CCR, cette mesure, qui n’a pas encore été mise en vigueur, aura comme effet de fermer la porte à plus d’un tiers des revendicateurs d’asile au Canada qui arrivent via les États-Unis sans toutefois augmenter la sécurité frontalière.
Selon Janet Dench, directrice du CCR, si le Canada a une bonne réputation à l’échelle mondiale, c’est simplement parce que la situation internationale est aberrante. « La satisfaction de soi peut être dangereuse, explique-t-elle, surtout lorsque nous avons un programme qui empiète sur des droits humains. »
Meera Karunananthan