Ainsi commence l’histoire de 23 hommes qui se retrouveront à la section B de la prison de Tazmamart. Pour avoir trahi la patrie, ils seront condamnés à une mort lente, cachés du monde et de la lumière du jour dans des cellules souterraines. Nourris d’eau infecte et de féculents, ne pouvant se déplacer qu’en position accroupie dans une cellule d’un mètre et demi par trois, quatre hommes survivront à 18 ans de captivité. Et c’est à partir du témoignage de l’un d’eux que Tahar Ben Jelloun nous livre l’histoire de leur lutte contre la « dégradation de l’être ».
Pour survivre à Tazmamart, il faut oublier sa propre existence, s’évader de son corps et lutter par l’esprit. Dans ce présent insurmontable, « à côté de la mort », un prisonnier fait revivre pour ses compagnons d’infortune les personnages de la pièce Un tramway nommé désir, ou récite L’Étranger de Camus. Un père absent lui a légué une mémoire phénoménale, sa mère la force de résister. À travers ce regard qui ne voit plus que des ombres, se façonne une quête spirituelle qui transcende les ténèbres. Rompre avec l’espoir du futur. Ne rien désirer pour le présent. Renier son passé qui hante sa détention, sa famille, sa fiancée. « Se souvenir, c’est mourir ». Est-ce pourquoi l’ancien prisonnier acquiescera aux paroles de sa mère lorsqu’elle lui dit : « Il paraît que Tazmahart n’a jamais existé ? »
Loin de dramatiser les conditions inhumaines de détention, Tahar Ben Jelloun mêle la réalité à l’imaginaire, le rêve à la beauté de la plume, rendant un hommage littéraire de haute qualité aux survivants de Tazmamart.