Par cette entente, les Cris consentent à donner le feu vert à l’exploitation de la rivière Rupert par Hydro-Québec. Son détournement au nord vers la rivière Eastmain, initiative baptisée EM1=A, entraînera la construction de quatre barrages et de 51 digues, ce qui affectera environ 1 000 kilomètres carré de territoire. Cette modification du paysage permettra un apport d’eau considérable à la centrale hydroélectrique qui sera construite sur la rivière Eastmain - un autre projet intitulé EM1, déjà en cours. Indissociables, ces deux projets nécessiteront un investissement de 3,8 milliards de dollars qui permettront à la société d’État de générer 1 200 mégawatts additionnels.
En contrepartie, les Cris obtiendront 70 millions de dollars pour les 48 prochaines années, un contrôle accru des ressources naturelles tirées de leur territoire, de même que la promesse de milliers d’emplois chez Hydro-Québec. Ils consentent, de plus, à laisser tomber les poursuites intentées contre le gouvernement du Québec pour non-respect de la Convention de la baie James. Guy Chevrette, ancien ministre des Affaires autochtones, opine : « En cessant les poursuites devant les tribunaux, les Cris pourront consacrer plus de ressources pour leur communauté, plutôt que de les donner à des avocats de l’extérieur . »
« Obtenir la possibilité de réaliser des projets hydroélectriques est l’aspect le plus important de la Paix des Braves, poursuit Guy Chevrette. Comme le projet Eastmain ne décollait pas depuis plusieurs années, Québec voulait obtenir la possibilité de développer cette région. » Ce à quoi s’opposent de plus en plus de citoyens, inquiets devant la perspective de voir ce patrimoine naturel se dégrader.
L’opposition s’organise
L’opposition aux visées d’Hydro-Québec a pour nom Révérence Rupert, un groupe composé de Blancs et de Cris, qui mène une campagne contre le détournement de l’une des dernières grandes rivières vierges du Québec. Aucun développement ne vient pour le moment perturber ce cours d’eau, pas même une papeterie. Éric Gagnon, coprésident du groupe, aime passionnément cette rivière « grande et longue de 600 kilomètres qui prend sa source dans le plus grand lac d’eau douce naturel du Québec, le lac Mistassini. »
En mars dernier, Hydro-Québec annonçait des profits de 1,5 milliard pour l’année 2002. Son actionnaire principal, le gouvernement du Québec, recevra quant à lui des dividendes records de 763 millions. Pour M. Gagnon, l’éthique doit primer sur l’économique. « A-t-on vraiment besoin d’électricité supplémentaire, compte tenu du fait que la demande en énergie plafonne depuis quelques années ? Nous soupçonnons Hydro-Québec de vouloir exporter cette énergie aux États-Unis. »
Mais l’argument de la création d’emplois en est un de poids. Dans une communauté comme celle des Cris où le chômage et la misère sont endémiques, un projet comme celui-ci pourrait avoir des retombées intéressantes. Hydro-Québec s’engage en effet à créer 10 500 emplois directs en neuf ans. Éric Gagnon ne croit pas que cet argument tienne : « On ne développe pas une économie avec ce type de projet. Ça crée de l’emploi pour un maximum de cinq ans, et après, c’est fini, il n’en reste rien. Ce n’est pas durable. »
Une énergie verte ?
La croyance populaire voulant que l’hydroélectricité soit une énergie verte est de plus en plus mise à mal. Elle inonde des territoires entiers et modifie en profondeur l’équilibre écologique des milieux inondés. « L’hydroélectricité n’est ni verte ni renouvelable car elle crée des dommages qui ne se réparent pas. À mon avis, le débat est trop polarisé sur la question des gaz à effet de serre. Pour utiliser une image, ce n’est pas parce que la cigarette ne contient pas de cholestérol qu’il faut fumer ! Il y a beaucoup d’autres facteurs à considérer », vitupère Éric Gagnon.
L’un des aspects les plus controversés du dossier est sans aucun doute le processus d’évaluation environnementale qui ne vise que EM1=A. Déjà en chantier, EM1 n’aura pas à se soumettre à une évaluation quant à ses éventuels impacts sur l’environnement. « Nous disons à Hydro-Québec : puisque vous nous dites que l’un n’est pas rentable sans l’autre, attendez que les autorisations environnementales soient obtenues pour le projet EM1-A avant de commencer EM1 », affirme Éric Gagnon. « La meilleure façon de minimiser les impacts environnementaux reste encore de ne pas faire de barrages. Point à la ligne. »