L’agriculture, la ville. Alors qu’il y a peu de temps l’imaginaire collectif renvoyait ces deux termes à des réalités diamétralement opposées, les concepts semblent appelés aujourd’hui à se courtiser. Effectivement, l’agriculture investit de plus en plus le paysage urbain. En témoigne l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture qui, depuis maintenant plus d’une décennie, évalue à 800 millions le nombre de personnes pratiquant l’agriculture urbaine à l’échelle mondiale. Le déficit de recensement des initiatives limite toutefois la visibilité et la diffusion des projets. C’est ce pourquoi Carrot City, une exposition itinérante qui a fait escale à Montréal le mois dernier, s’est attelée à déterrer les projets d’agriculture urbaine aux quatre coins du monde. Récoltons les fruits de la réflexion.
À tort, le phénomène de l’agriculture urbaine (AU) semble pour plusieurs, récent. L’AU est probablement aussi vieille que la ville. C’est cependant au cours des quinze dernières années que la pratique s’est rapidement développée et étendue dans les pays en voie de développement (PED). Cette expansion s’explique par la vitesse à laquelle s’effectuent l’urbanisation et la croissance démographique au sein des villes. Ces phénomènes exigent une production alimentaire beaucoup plus importante et une meilleure gestion des déchets et des effluents. Un autre facteur éclairant le progrès de l’agriculture urbaine tient au développement des politiques de décentralisation. Ce nouveau type de gouvernance incite à la responsabilisation de la population vis-à-vis les ressources présentes sur leurs territoires.
Plusieurs définitions circulent autour de l’agriculture urbaine. Celle-ci semble concentrer le plus simplement les éléments de caractérisation : « il s’agit des cultures de produits destinés à l’alimentation, réalisées par ses habitants dans un milieu urbain. » (CAAQ, 2008) Aux dires de Paule Moustier, chercheure en agroenvironnement au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’AU est une agriculture d’interstice. L’activité mise sur son adaptabilité à l’espace urbain, s’enracinant dans les zones laissées vacantes : les terrains vagues, les bords de cours d’eau, les toits d’édifices privés, notamment. Dans les PED, l’AU est présentée comme un enjeu de sécurité alimentaire, d’emploi et de gestion de l’environnement urbain.
L’Occident n’est pas en reste, les projets d’agriculture urbaine s’y multiplient aussi. Les incitatifs ne sont toutefois pas les mêmes. Règle générale, l’AU dans les pays occidentaux répond moins à des besoins de production alimentaire qu’elle n’entretient un lien social et éducatif certain chez ses bénéficiaires. Cela dit, malgré leur relative richesse, les villes développées connaissent certaines problématiques, comme l’injustice alimentaire. C’est le cas à Montréal, comme le rappelle le Dr Richard Lessard, directeur de la Santé publique au Québec. « 40 % de la population n’a pas accès à des fruits et légumes frais à distance de marche. », déplore-t-il. Référant au phénomène de « déserts alimentaires », le directeur précise que la métropole québécoise compte dix-sept de ces secteurs à l’intérieur desquels persiste un manque d’accessibilité aux fruits et légumes frais. L’AU s’affiche donc comme solution possible pour palier ce vide, d’autant plus qu’elle est un moyen de revitaliser les quartiers, de favoriser la biodiversité et de contrer les îlots de chaleur.
De plus en plus conscients du potentiel de l’agriculture urbaine, de nombreux designers urbains ont travaillé à l’élaboration de nouveaux rapports entre territoires bâtis et espaces agricoles. C’est en vue de partager le résultat de cette réflexion que l’Université Ryerson, à Toronto, a créé l’exposition Carrot city.
En collaboration avec la direction de l’exposition ambulante Carrot City, Alternatives a présenté au Palais des congrès, au cours du dernier mois, différents projets s’illustrant par la qualité de leur conception ainsi que par leur adaptabilité aux enjeux urbains.
Certaines initiatives détonnent. C’est notamment le cas des serres verticales intégrées. À l’intérieur d’un édifice doté d’une façade double peau vitrée, entre les deux parois de verre, une serre verticale hydroponique est installée. Le projet cumule les avantages, soient ceux d’améliorer l’efficacité énergétique du bâtiment, d’ombrager l’intérieur de celui-ci, de favoriser son isolation acoustique et accessoirement, de permettre une production locale de légumes.
Une autre initiative, le Science Barge à Manhattan, se démarque comme modèle d’architecture durable. La péniche amarrée au quai des Yonkers et sur laquelle est aménagée une ferme, produit des cultures maraîchères grâce à une serre hydroponique alimentée par des panneaux solaires, des éoliennes et des biocarburants. Les plantations sont arrosées par l’eau de pluie recueillie ainsi que celle captée par le dessalement de l’eau du fleuve. Les plantations sont donc cultivées sans la moindre émission de gaz à effet de serre.
Ailleurs, à Londres, c’est l’agriculture en sacs qui vole la vedette. S’inscrivant dans une approche d’autosuffisance, l’initiative The Vacant Lot Project espère rapprocher la capitale britannique de son objectif de produire 25 p. cent de la nourriture consommée en ville. Avec quelque soixante-dix sacs d’une demi-tonne, la firme de projets What if ? transforme des parcelles négligées, inexploitées en petits lots de terre cultivables.
L’exposition Carrot City laisse par ailleurs une grande place aux initiatives locales. Rappelons en ce sens que Montréal figure comme pionnière en agriculture urbaine. Parmi la pépinière de projets de la métropole, celui du Santropol Roulant se distingue par sa vision holistique. Associant cultures maraîchères produites sur les toits, ruches urbaines, gestion des déchets organiques, préparation et distribution à vélo de repas destinées aux personnes en perte d’autonomie, l’organisme incarne un modèle de développement durable. C’est grâce à ce type d’initiative, mais aussi aux jardins collectifs et communautaires, au maraîchage en bacs, en sacs ou mural et au leadership des communautés universitaires que Montréal rayonne à l’international.
Il reste cependant de nombreux efforts à déployer pour assurer la pérennité de l’AU à Montréal. C’est dans cette optique que le Groupe de Travail pour l’Agriculture Urbaine (GTAU), un collectif d’organismes et de citoyens engagés, a lancé une pétition militant pour la tenue d’une consultation publique portant sur l’état de l’agriculture urbaine à Montréal. Avec pour objectif de recueillir 15 000 signatures d’ici le 8 novembre, le GTAU souhaite forcer les élus à amorcer une réflexion collective sur l’espace urbain et sur le rôle que pourrait y jouer l’agriculture urbaine.
Crédit photo : Isabelle Mailhot-Leduc