Cachée, inconnue mais bien réelle

mardi 22 septembre 2009, par Karine Gantin

Comment intensifier les coopérations entre les ONG internationales et une société civile irakienne largement méconnue ? C’est la question que se pose ensemble un nombre croissant d’acteurs. L’enjeu : parer au désastre humanitaire mais aussi contribuer à la reconstruction politique du pays.
 
 
La société civile irakienne demeure largement inaccessible. Inaccessible et inconnue, cachée hier derrière l’opacité du régime de Saddam Hussein, enterrée aujourd’hui malgré ses appels et ses initiatives sous le matraquage médiatique focalisé sur les seules violences ou les nouveaux jeux de pouvoir dans la région (1). Et pourtant, les initiatives que portent les acteurs de cette société civile, éparses, multiples et fortes, sont précieuses pour une population en situation de crise humanitaire majeure… et pour la reconstruction d’un sens politique collectif. Le terrain a beau être miné, notamment par l’excès - hautement manœuvrier - des ingérences internationales, la coopération avec l’extérieur est ici cruciale. Cette coopération doit impérativement concrétiser aujourd’hui l’élan de solidarité avec le peuple irakien qui s’était manifesté spontanément dans le monde entier au moment de l’invasion du pays.
 
Convergences humanitaires

Dès 2003, les associations internationales humanitaires et de développement se sont confrontées à des difficultés nombreuses : intervenir sur un désastre humanitaire croissant en tant que « non irakiens » (a fortiori en tant que « non arabes ») et dans un contexte sans cesse mouvant d’insécurité… sans être considérées comme collaboratrices « embedded » de l’armée d’occupation (2). Sur ce point, le débat, quoique discret, est à vif entre associations qui acceptèrent ou bien refusèrent de se faire escorter par les forces armées. Mais toutes se sont adaptées en revanche à l’identique en déléguant essentiellement la mise en œuvre de leurs programmes à des Irakiens, qui travaillent pour elles sur place à grands risques et souvent dans la clandestinité totale. Cette pratique dite de « remote management » n’a pas toujours suffi hélas cependant à garantir le renouvellement des financements malgré le dévouement des équipes sur le terrain, faute d’un « contrôle » par en-haut jugé suffisant par les conseils d’administration et bailleurs de fonds des ONGs investies.
La convergence est l’autre caractéristique de l’intervention associative en Irak. Basé à Amman, en Jordanie, le NGO Coordination Committee in Iraq (NCCIraq) a ainsi fait preuve d’efficacité discrète au plus fort des violences. A Bruxelles, s’est également mise en place une coordination des ONG travaillant sur des programmes d’assistance aux populations irakiennes déplacées... Avec un double objectif : recouper les informations provenant d’Irak ou des coulisses diplomatiques ; et retrouver l’écoute de l’Union européenne. Dans le cas de l’Irak, les ONG considèrent en effet avoir perdu leur aire d’influence habituelle, d’autant que les décisions semblent moins dépendre de la Commission que des Etats eux-mêmes, qui préfèrent garder la main sur un dossier politiquement brûlant. C’est d’ailleurs ce qui a motivé la constitution plus récente à Londres et Amsterdam de plate-formes d’ONG similaires à celle de Bruxelles (3), afin d’agir au niveau national, demeuré pertinent.

Solidarité altermondialiste

Dans la sphère dite altermondialiste, fin mars, à Rome, une Initiative de Solidarité avec la Société civile irakienne (ISSCI) a rassemblé (4) environ 80 ONGs irakiennes et internationales à parts égales. Si la sélection des participants irakiens fut épineuse, il en est ressorti l’image fortement positive d’une société civile irakienne active, démocratique, diverse, engagée dans les questions sociales et politiques. En point d’orgue, l’idée d’un Forum social irakien, fin 2010 dans le nord du pays, y a été lancée. Comme conséquence, en marge de la réunion du Conseil international du Forum social mondial de mai dernier s’est enclenché l’élargissement du Forum Social Maghrébin au Machrek, avec l’inclusion de la société civile irakienne parmi ses priorités. Egalement, courant 2010, se tiendra à Paris une conférence associative dédiée au renforcement des libertés et droits fondamentaux en Irak (5). Tous ces processus initiés, coordonnés entre eux, demandent maintenant à se pérenniser et renforcer grâce à l’engagement d’un maximum d’acteurs nouveaux.

 


Voir en ligne : Paru dans Altermondes n°19 - Septembre 2009


Karine Gantin st membre de l’Assemblée européenne des citoyens

(1) Du fait des nombreux Irakiens dispersés dans les pays voisins suite au conflit, le risque de déstabilisation politique et sociale de la région se trouve accru. Le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) considère qu’il s’agit de la principale crise de personnes déplacées au monde.
(2) Terme anglais appliqué notamment aux journalistes qui avaient accompagné l’armée américaine pour couvrir la Guerre en Irak en 2003.
(3) A Paris, une telle plate-forme reste à l’état d’ébauche.
(4) Parmi les organisateurs : Un Ponte Per, Focus on the Global South, Transnational Institute, CCIPPP, Alternatives international, People’s Health Movement, War on Want, International Alliance of Inhabitants, etc. Rejoindre la dynamique : icssi.project@gmail.com
(5) Alternatives international en est en charge de l’organisation de cette conférence. En savoir plus : karine.gantin@noos.fr

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