Il s’est passé tellement de choses ici qu’on avait de la difficulté à penser : des centaines de kiosques, de présentations de films, d’événements dans l’événement, sans compter plus d’un millier d’ateliers. Pourtant, dans cette mégalopole de 15 millions d’habitants, rien n’est simple et facile. Porto Alegre était un village en comparaison, le défi était donc de taille. Le site du FSM ressemblait à une sorte d’immense Shop Angus, un vaste ensemble d’usines désaffectées que la ville a mis à notre disposition.
Malgré les difficultés économiques, l’absence totale d’appui municipal ou gouvernemental, la couverture médiatique locale quasi inexistante et l’inexpérience des organisateurs dans la réalisation d’un événement d’une telle envergure, le FSM 2004 de Mumbai aura quand même rassemblé plus de 100 000 personnes, pour la plupart provenant des mouvements sociaux indiens ou d’organisations internationales.
La voix de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien vice-président de la Banque mondiale, s’est unie à celle, entre autres, de l’écrivaine et militante indienne Arundhati Roy, de l’activiste chilien Juan Somovia, mais surtout, aux voix des organisations communautaires locales, massivement présentes lors de ce grand rassemblement.
Ils étaient venus revendiquer une Inde plus juste et équitable dans un pays qui compte des milliers de « dalits ». Ces « opprimés des opprimés », appartenant aux sous-castes, ont pris la parole - certains pour la première fois de leur vie - par le chant, la danse, la musique, la poésie, faisant ainsi sauter les barrières de la langue et de la culture. Pour ces parias de l’Inde, le brin d’espoir de changement apporté par le FSM était un concept méconnu et improbable il y a encore quelques années. Ils sont maintenant rassemblés en divers mouvements très actifs, comme en a témoigné leur présence au FSM. Parmi les 260 millions de personnes qui vivent avec moins de un dollar par jour sur cette planète, 160 millions se trouvent en Inde.
De l’autre côté
« Tous les matins, je me réveille du mauvais coté du capitalisme », peut-on lire sur un mur de béton, situé dans un quartier populaire de Mumbai. Ce graffiti pourrait bien représenter la pensée du jour de centaines de millions d’Indiens qui, jusqu’à la fin du forum, n’auront jamais entendu parler de ce rassemblement.
En Inde, le démantèlement de la démocratie avance avec la même efficacité qu’un plan d’ajustement structurel. La mise en œuvre du projet néolibéral disloque l’existence des populations. Son marché d’un milliard d’habitants a été ouvert au forceps par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les privatisations massives et les réformes du travail chassent les paysans de leurs terres et les salariés de leurs emplois. Pendant que l’élite poursuit son voyage vers les sommets, les pauvres sont pris dans la spirale du crime et du chaos. La classe dominante traditionnelle, issue de la lutte pour l’indépendance, est en débandade, confuse, corrompue.
Mais pendant quelques jours, la ville de Mumbai a vibré aux sons des slogans portés par le militantisme et la démocratie. Alternatives a ici des partenaires exceptionnels, des gens qui ont conçu le forum bien sûr, mais qui en même temps, dans des conditions d’une incroyable adversité, portent de puissants mouvements sociaux. Ils sont l’avenir, et dans cet avenir, nous resterons avec eux.
Olik Valera et Pierre Beaudet