Bras de fer en Côte d’Ivoire

lundi 27 février 2006, par Marc GADJRO

« Le processus de paix que conduit la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire a subi un grave échec. » Laconique, l’aveu de Pierre Schori , représentant spécial de Koffi Annan en Côte d’Ivoire, illustre l’impuissance de la mission des Nations unies dans ce pays. Au-delà du symbole d’un pays laminé, coupé en deux depuis le coup d’État manqué de septembre 2002, l’ONU fait face à la question d’une redéfinition de sa mission et de ses moyens.

Présents en Côte d’Ivoire depuis 2003, les 7500 casques bleus vivent un véritable enfer en ce début d’année. Tout est parti d’un communiqué du Groupe de travail international (GTI), instauré en octobre dernier par le Conseil de sécurité de l’ONU pour superviser le processus de paix suite à la prolongation du mandat du président Laurent Gbagbo. Le 15 janvier dernier, le GTI recommandait que le mandat des députés, expiré en décembre dernier, ne soit pas renouvelé. Les représentants de la communauté internationale ignoraient ainsi l’avis du Conseil constitutionnel ivoirien qui s’était prononcé quelques jours plus tôt en faveur d’une prolongation. Le GTI imposait également, dans une feuille de route remise au premier ministre de transition - Charles Konan Banny, lui aussi nommé sous l’égide de la Communauté internationale - qu’en l’absence d’Assemblée nationale, « le Chef de l’État, Laurent Gbagbo, dispose de cinq jours maximum pour promulguer les lois désormais élaborées en Conseil des ministres ».

Le Front populaire ivoirien, parti présidentiel, est survolté : « L’attitude du GTI est non seulement irrespectueuse, désinvolte et méprisante, mais en plus elle viole l’esprit de la résolution 1633, qui le charge de veiller au bon fonctionnement des institutions ivoiriennes. Pas de les bafouer. »

En quelques heures, le pays s’embrase. Quatre jours durant, à l’appel de Charles Blé Goudé, un tribun proche du clan présidentiel, des milliers de « Jeunes patriotes » se ruent sur le quartier général de l’ONU à Abidjan, assiègent l’ambassade de France et s’en prennent aux bases militaires étrangères. Certaines ne résistent pas à la violence des assauts. Dans ce chaos, les locaux de plusieurs organismes humanitaires sont aussi saccagés. Les Casques bleus, qui ont fait feu sur les assaillants, évacuent précipitamment l’ouest du pays sous la protection de l’armée ivoirienne. On compte cinq morts parmi les manifestants. L’image de l’ONU est sérieusement ébranlée.

Le 18 janvier, le président de l’Union africaine et coprésident du GTI, le nigérian Olusegun Obasanjo, tranche  : « Le Groupe de travail international n’est pas habilité à entraver la souveraineté des institutions ivoiriennes. » Deux jours plus tard, au siège des Nations unies à New York, Koffi Annan se faisait sévèrement rabrouer par l’ambassadeur américain John Bolton. Les États-Unis remettent en cause le bien fondé de la présence onusienne dans le pays. Le président Gbagbo en profite alors pour « clore » le débat en confirmant « la reconduction de l’Assemblée nationale avec tous ses pouvoirs ». Les députés ivoiriens - du moins une courte majorité de 108 députés sur 204 - se réunissent quelques jours plus tard et décident à leur tour de renouveler le mandat des maires et des conseillers régionaux.

Indécisions et contradictions

Plusieurs raisons expliquent les difficultés rencontrées par l’ONU dans sa gestion du dossier ivoirien. En premier lieu, l’indécision des Nations unies dans la crise ivoirienne, notamment leur incapacité à assumer les directives du Conseil de sécurité. En octobre dernier, la résolution 1633 prévoyait l’instauration d’un gouvernement d’union nationale et le désarmement « sans délai » des rebelles du Nord et des milices progouvernementales du Sud, afin de faciliter l’organisation d’élections générales sous supervision internationale en octobre prochain. Depuis, le premier ministre Charles Konan Banny a été nommé et a pu former son équipe. Mais rien de concret ne semble être entreprit pour imposer aux combattants irréguliers un retour à la vie civile. Dès lors, l’ingérence du GTI dans les mécanismes institutionnels de la Côte d’Ivoire est perçue comme une provocation par une partie de l’opinion publique ivoirienne.

L’opposition est cependant ouvertement favorable à l’instauration d’un régime d’exception impliquant la suspension des institutions et de la Constitution. Celle-ci, adoptée en octobre 2000 par plus de 80 % de l’électorat et par l’ensemble de la classe politique actuelle, a longtemps été à la source de la crise identitaire que traverse le pays. Établissant le Code de la nationalité sur « le droit du sang », elle prive du droit de vote et de propriété une importante partie de la population. Le pays compte officiellement 26 % de ressortissants d’origine étrangère.

L’opposant historique Allasane Ouattara, longtemps frappé d’inéligibilité par la Loi fondamentale, occupe l’une des extrémités de l’échiquier politique : « Si une tutelle internationale peut ramener la paix grâce à des élections démocratiques, c’est un mal nécessaire », affirmait-il récemment.

À ses côtés au sein de l’opposition, le point de vue du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, initiateur de cette Constitution marquée par le concept nationaliste de « l’ivoirité », est plus ambigu : Henri Konan Bédié, qui dirige ce parti occupant 96 des 223 sièges du Parlement ivoirien, se prononce en faveur de « missions ponctuelles » dictées aux parlementaires ivoiriens par la communauté internationale.

Pour les ex-rebelles des Forces Nouvelles, régulièrement dénoncés pour l’exploitation anarchique des régions qu’ils occupent depuis bientôt quatre ans, la « réinitialisation » des institutions leur permettrait d’intégrer l’appareil d’État et notamment l’armée.

Dans tous les cas, ainsi neutralisé, le pouvoir étatique personnalisé par Laurent Gbagbo serait condamné.

Or justement, plus cette menace se précise, plus le Front populaire ivoirien se recroqueville sur une lecture rigoriste de la Constitution. C’est au nom de cette vision que le FPI annonçait au lendemain du 15 janvier son « retrait de l’ensemble du processus de paix ». Fustigeant « la recolonisation de la Côte d’Ivoire par l’impérialisme international », il proclamait la formation d’un gouvernement de libération nationale. Certaines voix, au sein des hautes sphères du parti, commencent à remettre en cause la viabilité de ce légalisme sans concession : « Cette stratégie, murmure-t-on au sein du parti présidentiel, a été hypothéquée depuis janvier 2003, le président ayant accepté de négocier avec les rebelles ».

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