Bon retour en Algérie !

mercredi 1er mai 2002, par France-Isabelle LANGLOIS

L’Algérie subit une « sale guerre » depuis plus de 10 ans. On sait maintenant que plusieurs massacres sont perpétrés par des autorités et non des islamistes. Cela n’a pas empêché le gouvernement canadien de rétablir les renvois en Algérie.

Le 5 avril, dans un communiqué de presse, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (CIC), Denis Coderre, annonce « que le Canada va reprendre sa pratique habituelle de renvoyer en Algérie les personnes qui ne sont pas admissibles au Canada. [Et que] cette décision a été prise à la suite d’une étude approfondie des conditions qui règnent dans ce pays et après consultation d’un certain nombre d’intervenants ».

Le CIC dit avoir consulté le Conseil canadien pour les réfugiés, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et Amnistie internationale. Or le Conseil canadien pour les réfugiés a émis un avis négatif quant au rétablissement des renvois en Algérie. Et du côté d’Amnistie internationale, on se demande bien comment CIC a pu oser utiliser leur nom pour cautionner leur décision, « alors qu’on n’a même pas eu connaissance d’une démarche formelle », affirme Anne Ste-Marie, responsable des communications du bureau de Montréal.

Climat d’impunité

Mme Ste-Marie ajoute que CIC reçoit automatiquement tous leurs communiqués de presse et que par conséquent il est bien au courant de leurs avis et position : « Les violations des droits humains ont pris un caractère institutionnalisé en Algérie. Au cours de la seule année 2001, plus de 80 civils ont été tués illégalement par les forces de sécurité, et des dizaines d’autres torturés ou maintenus en détention secrète pendant des périodes plus ou moins longues. » Voilà la position d’Amnistie internationale qui juge prématurée la décision du ministre de lever le moratoire.

« Le nombre de crimes n’a pas baissé, et ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est la hausse des crimes et de la torture à l’égard des femmes et des enfants, dont font état plusieurs rapports. La situation est extrêmement préoccupante, sans compter le climat d’impunité qui règne en Algérie », ajoute Mme Ste-Marie. Et pendant ce temps, le gouvernement algérien refuse toujours qu’Amnistie internationale comme la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) se rendent en Algérie pour enquêter...

Au cours des dernières années, les témoignages se sont multipliés. Ex-officiers de l’armée algérienne, journalistes et intellectuels, gens ordinaires et mères de familles condamnent sur la place publique ce dont ils sont témoins (et parfois auteurs). Ils cognent à toutes les portes : gouvernements, médias, organisations internationales. Les grands médias européens ont changé leur discours, les attentats contre les civils ne sont pas le fait que des seuls islamistes.

Bentalha

Chez nous, il y a encore du travail à faire. Il y a à peine quelques jours, Patrice Roy, journaliste compétent à la télévision de Radio-Canada, de passage en Algérie alors qu’il suivait le premier ministre du Canada dans sa grande tournée africaine, est tombé dans le piège de la propagande du gouvernement algérien. Alors qu’il participait à une « visite guidée » organisée par les autorités à Bentalha, là où a eu lieu le célèbre massacre de 1997, on lui a expliqué que celui-ci avait été commis par les groupes armés islamistes. Patrice Roy nous a répété ce qu’on lui a si gentiment enseigné. Pourtant, on sait aujourd’hui que le massacre de Bentalha a été perpétré par des militaires.

Comme plusieurs, Patrice Roy n’a pas lu Qui a tué à Bentalha ? ni La Sale guerre, n’a jamais visité le site Internet du mouvement des officiers libres d’Algérie, ou celui d’Algeria Watch. Pire encore, il n’a jamais consulté les rapports sérieux d’organisations aussi crédibles que Human Rights Watch, la FIDH ou Amnistie internationale.

Mais le ministre Coderre, lui, connaît ces rapports et leur contenu. Qu’est-ce qui a alors réellement présidé à cette décision, annoncée par le premier ministre Chrétien en Algérie même ? Les pressions américaines à la suite du 11 septembre et l’affaire Ahmed Ressam (un Algérien) ? Les importants échanges commerciaux entre le Canada et l’Algérie ? « Avec des ventes de 475 millions de dollars et des importations de 653 millions de dollars en 1999, l’Algérie est le plus important partenaire commercial du Canada pour la région Afrique - Moyen-Orient », peut-on lire dans le site Internet du ministère des Affaires extérieurs et du Commerce international.

Haroun M’Barek

Rappelons seulement que l’année dernière le Canada avait retourné dans son pays un jeune étudiant tunisien, Haroun M’barek, alors que les autorités canadiennes savaient les risques qu’il encourrait s’il était déporté. En 1996, la justice tunisienne avait condamné par contumace Haroun M’Barek pour des raisons politiques. À peine quelques jours après sa déportation, Haroun M’Barek est arrêté et emprisonné par les autorités tunisiennes, où il a été torturé, intimidé et jugé sommairement, avant d’être relâché. En Algérie c’est pire qu’en Tunisie.

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