Boko Haram, la mitraillette à la tempe du Nigéria

mardi 13 mars 2012, par Sébastien Tanguay

Tout au long de son procès, Umar Farouk Abdulmutallab a refusé d’être jugé par d’autres lois que celles de la chari’a. Il a lancé en pleine cour américaine un « Oussama est vivant ! » à la gloire de ben Laden. Il a avoué que la réussite de son attentat « était entre les mains de Dieu » et a expliqué son échec par la « volonté d’Allah de le purifier avant son martyr ». Et le 16 février dernier, sa sentence est tombée : l’homme qui a voulu faire exploser, le soir de Noël 2009, le vol Amsterdam-Détroit n°253 au nom du djihad islamiste, passera le reste de sa vie en prison. Abdulmutallab était nigérian.

Ce martyr manqué n’est que le symptôme du mal beaucoup plus profond qui ravage le Nigéria depuis une décennie. Son nom : Boko Haram, ou « l’éducation occidentale est interdite » en langue haoussa. Son but : instaurer un régime islamique au Nigéria. Ses moyens : éradiquer tous ceux qui s’opposent à son fondamentalisme. Le 20 janvier, une bombe explosait à Kano, deuxième ville en importance du pays, en emportant dans ses éclats près de 200 vies humaines. Depuis, les attentats se succèdent presque quotidiennement au nord du Nigéria. Le dernier en lice : l’évasion orchestrée à la mitraillette de 119 prisonniers du pénitencier de Koto-Karifi situé à un jet de pierre au sud de la capitale, Abuja.

Le pays aux deux prophètes

Dans ce Nigéria peuplé par 126 millions d’habitants, l’unité se fragmente à travers deux spiritualités. Les protestants vivent au sud, là où dorment entre 20 et 50 milliards de barils de pétrole sous les eaux de la cote. Les musulmans se partagent le nord, là où les conditions de vie se sont vite détériorées depuis la jeune indépendance du pays.

L’indice de pauvreté se chiffrait à 28% en 1960. Trente-six ans plus tard, il avait vertigineusement monté à 66%. Conséquence logique de cette tendance à l’indigence : le nombre de personnes aux prises avec la pauvreté absolue passait de 35 millions en 1985 à 66 millions en 1996 [1]. Le premier gouvernement civil pris le pouvoir à l’orée du XXIe siècle avec des promesses qu’il n’aura jamais réussi à tenir pendant son mandat. Le développement tant annoncé s’est ainsi vite mué en une amère déception, laissant les Nigérians sans le sou, mais habités par une vive colère envers ses élites. Le ressentiment populaire, cultivé par des décennies de détérioration morale des autorités, d’instabilité politique et d’affaiblissement des institutions publiques, s’est transformé en luttes intestines qui étendent leurs tentacules aux pays voisins.

Récemment, Boko Haram s’est implanté au Cameroun. La population et ses imams, recrutés à la pointe des fusils, s’inquiètent de l’idéal promis par la secte. « Nous comprenons notre Islam et nous n’avons pas besoin de ceux qui pensent qu’ils comprennent cette religion mieux que nous », exhorte les chefs religieux du pays. "Ils sont venus ici et m’ont dit que tous nos problèmes sont causés par l’éducation occidentale et les idées occidentales", a confié à l’agence ENInews un résident de Lagdo, Oumarou Djam. « Ils ont également dit qu’ils me donneraient beaucoup d’argent si je rejoignais leur groupe. Ils avaient l’air dangereux, alors j’ai menti en leur disant que je réfléchirais à leur proposition. J’ai peur qu’ils reviennent me chercher. »

La gouverne britannique, ou l’islam instrumentalisé

Comme dans beaucoup d’autres pays africains, les racines des troubles que connait présentement le Nigéria s’enfoncent profondément dans le passé. Les Britanniques découvrent, à l’heure de coloniser le territoire nigérian, une région du nord jouissant d’une grande stabilité. Le régime féodal des émirs mis en place par les malikites Almoravides au XIe siècle [2] s’était perpétué jusqu’alors en garantissant une paix sociale que le sud divisé en plusieurs ethnies n’avait jamais connue. Laissant les représentants traditionnels du peuple haoussa cultiver les croyances islamiques de leur peuple, Londres tirera les ficelles en coulisse. À travers l’indirect rule, les sujets de la reine s’imposeront ainsi en maître de la région en montrant une tolérance intéressée aux ambitions islamistes qui ne tardèrent pas à vouloir instaurer la justice de la chari’a.

L’indépendance : une liberté en travers de la gorge

En 1960, l’indépendance chasse les Britanniques et dote le pays d’une constitution laïque, mais les militaires s’emparent vite du trône vide. Ceux-ci favorisent, tout au long des quatre décennies de leur règne, la communauté dont ils sont issus. Des tensions se créent ainsi entre des protestants et des musulmans qui avaient cohabité pendant des siècles en harmonie. Les uns croient la démocratie corrompue, les autres la pensent injuste.

Le nord musulman, habitué à diriger ses propres affaires avec son propre système, s’intègre mal à la donne démocratique. Surtout que l’envol pétrolier nigérian, qui s’est hissé à la sixième place parmi les producteurs mondiaux au fil de la seconde moitié du dernier siècle, profite au sud sans enrichir le nord. La perte de pouvoir politique du côté septentrional se double ainsi d’une inégalité économique. Dans ce contexte, la laïcité de l’État est également ressentie comme l’ostracisation de leur religion.

La chari’a comme réaffirmation de soi

L’islam rigoriste prôné par des mouvances fondamentalistes honnies par l’Occident apparaît comme une planche de salut dans ces conditions. Boko Haram veut instaurer un régime d’obédience talibane en pensant qu’un gouvernement provenant de ses rangs et fidèle aux fondements radicaux de l’islam améliorerait la situation au nord du Nigéria sur les plans de la représentativité politique et de l’économie. Signe de leur réussite : dans les douze états formant le Northern Nigeria, les tribunaux appliquent la chari’a lorsqu’ils jugent des musulmans.

La justice lapidaire et découpeuse de mains que le régime britannique parvenait tant bien que mal à réfréner aura réussi, finalement, à s’y épanouir.

L’islamité a été un substrat idéologique et socioculturel qui a forgé l’identité musulmane au fil des siècles, au Nigéria comme ailleurs. Aujourd’hui, dans notre ère trois fois millénaires assoiffée de carburants, les États-Unis lorgnent les ressources pétrolières du pays en investissant des milliards et en envoyant flotte de guerre et marines le long des plateformes pétrolières au large du littoral. Un appui américain que Boko Haram assimile à de l’ingérence occidentale dans les affaires du Nigéria.

Un retour aux sources par un chemin baigné de sang

La doctrine que la secte prône veut redonner sa « pureté » à l’islam et au système nigérian. Pour ce faire, elle se présente comme l’antithèse des valeurs occidentales en écorchant au passage le gouvernement de Goodluck Jonathan, ce « complice » de l’ennemi. Cette splendeur venue des temps révolus que Boko Haram veut déterrer à cependant un prix qui n’en vaut déjà plus la chandelle : celui des quelques 5000 victimes qu’elle a laissé dans le sillage de sa croisade djihadiste...


Crédit photo : flickr/ssoosay


[1Alhadji Bouba Nouhou, Islam et politique au Nigéria : genèse et évolution de la chari’a, Éditions Karthala, 2005

[2Alhadji Bouba Nouhou, opus cité

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