Le dernier roman d’Olivier Rolin, Tigre en papier [1], paru cet automne aux Éditions du Seuil, est « l’histoire d’un type [Martin] qui raconte à la fille de son meilleur ami [Treize], mort depuis longtemps, ce que fut leur jeunesse à l’époque presque fabuleuse ». Le tout dans une voiture qui roule sur le périphérique de Paris, en pleine nuit. Périph dont la construction ne faisait que commencer alors. Il n’en fallait pas plus à la bande de Treize et Martin pour croire qu’il s’agissait d’un plan destiné à encercler le Paris des révolutions. Sans doute y installerait-on des chars d’assaut...
Pas de leçons
Tigre en papier est un roman. Bien qu’Olivier Rolin ait lui-même été l’une des têtes pensantes et dirigeantes d’une organisation d’extrême gauche en France à la fin des années 60, ce n’est pas sa vie, ce n’est pas une analyse et ce n’est surtout pas une façon de donner des leçons. L’écrivain insiste sur ce point : il ne veut pas donner de leçons, il ne veut pas qu’on lui demande d’en donner.
À la suite de Mai 68, Olivier Rolin fera partie d’une bande de révolutionnaires qui mènera ses activités pendant quelques années encore ; il s’agit de la Gauche prolétarienne. C’était du sérieux, ils agissaient dans l’illégalité, ils sont allés jusqu’à enlever une ou deux personnes, mais jamais jusqu’à tuer. Le romancier nous prévient : « Je ne veux pas que l’on croie que ce que j’exalte est le combat au champ d’honneur. » Qu’est-ce qui est exaltant alors ? « Être un peu plus que soi-même, ça, c’est exaltant. » Ce qui signifie ? « C’est ne pas être concerné par son bien-être. Courir des risques pour quelqu’un qui n’est absolument pas soi. »
Aujourd’hui, Olivier Rolin écrit roman sur roman, mais aussi des récits de voyage. Tous des succès. Il est passé par deux fois à un cheveu du Prix littéraire Goncourt. Il a également exercé un peu le métier de grand reporter, au Liban et en Bosnie, entre autres, où ce qui l’a le plus marqué, c’est « de voir qu’il y a des gens qui aiment la guerre, qui profitent de la guerre ». Ce qu’il appelle la « bourgeoisie de guerre civile ».
Don Quichotte de Mai 68
« Nous trouvions plus marrant de vivre comme des Don Quichotte que comme des Sancho Pança », répétera à quelques reprises, au cours du Salon, Olivier Rolin.
Aujourd’hui, le jeune Don Quichotte de Mai 68 a laissé la militance active, mais ne s’est pas pour autant réfugié dans le « je-m’en-foutisme ». Écrire est aussi une façon de s’engager.
L’écrivain ne regrette pas ses années de militance, bien au contraire : « Pour moi, c’est une époque tout à fait romanesque. Et le romanesque, c’est pas triste. » Mais cela ne le rend pas nostalgique ni ne l’empêche de porter un regard critique sur l’époque et les agissements de sa bande et des autres militants. Et de citer Jacques Brel : « Beau et con à la fois. » Pour lui, c’est sans doute ce qui résume le mieux le militant d’hier et d’aujourd’hui : « La figure du militant, c’est beau mais pas toujours. »
Que pense l’auteur des altermondialistes, de la nouvelle génération de militants, après deux décennies d’apathie ? « Je vois bien qu’il est en train de se passer quelque chose, qu’il y a un mouvement. L’égoïsme et le matérialisme que l’on a voulu inculquer ne fonctionnent pas. Il y a un renouveau de générosité. Mais, encore une fois, je ne veux pas donner de leçons. » Décidément, c’est une peur presque obsessionnelle que d’être perçu comme un donneur de leçons, et pourtant, ce n’est pas l’impression que l’auteur nous donne. « Le problème, finit-il par dire, c’est que plus on étend l’action, plus on réduit la réflexion. Le marché n’est pas le seul responsable de tous les maux, de toutes les guerres. Il y a aussi l’obscurantisme religieux, les haines ethniques. Il faut lutter autant contre le fanatisme que contre le marché. » Tout ça lui rappelle un peu sa jeunesse, dans ce qu’elle avait de beau et de con. De mêmes erreurs sont commises, répétées. Malheureusement, et sans doute inévitablement.
Ironie, ironie...
« Il faut toujours garder en tête l’ironie, faut croire dans le collectif, faut agir, faut être solidaire », conclut Olivier Rolin.
Tigre en papier est un très beau roman. Ce n’est pas nostalgique, c’est vrai. C’est un peu ironique, ce qui nous plaît beaucoup. Ne regrettons jamais et ne nous prenons jamais au sérieux, semble nous dire l’auteur. En d’autres circonstances, nous aurions dit une belle leçon d’humilité... Nous nous contenterons de dire « c’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui ».
France-Isabelle Langlois, coordonnatrice et rédactrice, journal Alternatives.