Il faut plisser les yeux pour voir le salar d’Uyuni : les 12 000 km2 d’une blancheur immaculée qu’on aperçoit sont les vestiges d’un ancien lac juché à 3 700 m d’altitude. C’est le plus grand désert de sel du monde. Sous sa croûte durcie et dans la saumure dort du lithium, un métal ultra-léger qui dessine les contours mondiaux d’une nouvelle géopolitique.
Déjà utilisé dans les médicaments antidépresseurs ainsi que pour les batteries d’ordinateurs ou de téléphones portables, c’est pour celles des voitures hybrides ou électriques que cet élément devient un trésor. Si ces voitures s’imposent, le lithium sera l’alternative au pétrole.
Mitsubishi, Bolloré et Sumitomo lorgnent le salar pour leurs batteries. Ils courtisent La Paz pour exploiter l’or gris de la Bolivie, le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud.
Mais le président socialiste Evo Morales est catégorique : l’État ne cédera jamais ses droits sur du lithium. Il aspire non seulement à l’exploiter, mais aussi à fabriquer des batteries et des voitures électriques boliviennes.
Usine-pilote
L’État a investi 6 millions de dollars pour construire une usinepilote en périphérie du salar. Plus d’une centaine d’ouvriers s’y affairent depuis octobre 2008. L’usine devait être terminée en janvier, mais sa mise en service a été repoussée à mai.
« Ici, c’est l’avenir des batteries au lithium », affirme Marcelo Castro, ingénieur responsable de la construction de l’usine pour la Direction nationale des ressources évaporitiques de la Bolivie. L’entreprise minière publique, COMIBOL, chapeaute le tout.
L’usine-pilote produira 40 tonnes de carbonate de lithium par mois, l’équivalent de près de 8 tonnes de lithium. La saumure pompée dans le salar sera traitée dans des piscines totalisant 150 000 mètres carrés. Technologies et procédés y seront expérimentés. « En fonction des résultats suivra la phase industrielle
dans deux ou trois ans, poursuit le responsable du chantier. Un investissement de 300 millions de dollars est prévu. La production dépendra du marché. »
Il n’y a pas de consensus quant à la quantité de lithium disponible dans le monde : entre 4 et 30 millions de tonnes, selon les méthodes d’extraction retenues. De l’ensemble des estimés, la Bolivie cumule néanmoins la moitié des réserves. Suivent le Chili, l’Argentine, la Chine et le Brésil.
Défense du capital
L’usine « créera du capital et réduira la pauvreté extrême du pays », selon Marcelo Castro. « Notre pays est riche, mais on est pauvres », rappelle-t-il. Les étrangers ont pillé la Bolivie durant des siècles. Non loin d’Uyuni, les conquistadors ont vidé les mines d’argent de Potosi. Pas question que le scénario se reproduise.
Et à la vigie, les mouvements sociaux. « Ils sont la garantie de notre succès », affirme l’ingénieur. Des mobilisations sociales ont déjà permis d’annuler un contrat américain désavantageux pour les Boliviens à la fin des années 1980. Francisco Quisbert, dirigeant de la Fédération des travailleurs paysans
de l’Altiplano Sud (FRUTCAS), s’était mobilisé à l’époque. Rencontré à son bureau, il demeure au front. « Plusieurs disent qu’on n’a ni l’argent ni la technologie, mais l’extraction du lithium varie selon les lieux, précise-t-il. La technologie se conçoit. L’argent se prête. L’exploitation peut et doit être à 100 % étatique, pour qu’on puisse réinvestir en Bolivie. On ne veut pas de multinationales. »
L’exploitation du salar inquiète néanmoins l’industrie touristique d’Uyuni. Des milliers de visiteurs par année se rendent à ce village de 14 000 habitants afin de s’éblouir dans le désert de sel. Mais tant le responsable de l’usine que le dirigeant de la FRUTCAS – dont l’un des mandats est de protéger l’environnement – rassurent : le salar ne sera pas détruit.