La Namibie est un vaste pays d’Afrique australe peuplé par seulement deux millions de personnes. Après avoir obtenu son indépendance en 1990 du régime d’apartheid sud-africain, la Namibie adopte l’économie de marché. Malgré des ressources minérales et halieutiques abondantes, des conditions d’investissement favorables et une grande stabilité politique, ce pays n’arrive pas à se sortir de la pauvreté, du chômage et des inégalités.
Soucieux d’améliorer la situation, le gouvernement namibien crée en 2002 une commission chargée d’examiner différentes avenues. Dans son rapport final, la commission conclut « que la mise sur pied d’un revenu de base garanti est le meilleur outil pour contrer la pauvreté et les inégalités ». La commission suggère de fixer à 100 dollars namibiens (14 dollars canadiens) le montant versé chaque mois. Tous les Namibiens, incluant les nouveaux nés et les enfants, y auraient droit jusqu’à l’âge de 60 ans (ensuite, des prestations de vieillesse sont versées par l’État). La commission mentionnait que les coûts de cette initiative correspondraient à 3 % du PIB, mais que l’État pourrait récupérer sa mise grâce aux impôts.
L’adoption d’un revenu citoyen garanti divisait le gouvernement namibien. Certains estimaient que l’État ne pouvait s’offrir cette mesure sociale, et le Fonds monétaire international ne ménageait pas ses efforts pour convaincre les dirigeants du pays de la rejeter. Par contre, des Églises, des ONG et des groupes préoccupés par la propagation du sida moussèrent son adoption en se regroupant au sein de la Coalition BIG (Basic Income Grant Coalition). Après trois ans de débats et de démarches infructueuses, la Coalition décida néanmoins d’implanter le projet dans un village.
Otjivero, dans l’est du pays, est choisi. Un millier de personnes y vit, majoritairement d’anciens agriculteurs et leurs familles qui n’ont nulle part où aller. Le désespoir et la pauvreté y sont omniprésents. La Coalition croit donc que si un revenu garanti pouvait améliorer le sort des résidants d’Otjivero, cela serait aussi le cas pour le reste de la Namibie.
Des résultats probants
Le projet pilote débute en janvier 2008. Tous les résidants de moins de 60 ans reçoivent 14 $ par mois, sans aucune condition. Une équipe de chercheurs locaux et internationaux est formée pour évaluer l’impact de cette mesure sur une période de deux ans. La communauté s’engage aussi en mettant sur pied un comité pour mobiliser la population et la conseiller sur les façons d’améliorer leur qualité de vie avec l’argent reçu.
Après un an, les résultats sont inespérés. Le taux de malnutrition des enfants est passé de 42 % à 17 % en six mois seulement. L’infirmière en chef du village, Bonita Nakanyala, mentionne à Irin News que la population se nourrit mieux : « Avant, les gens ne mangeaient que du gruau et du sucre, le midi et le soir, et lorsqu’ils n’avaient rien, ils se contentaient d’eau sucrée. » Avec quatorze dollars par personne par mois, les familles démunies - la majorité de la population - peuvent maintenant acheter des fruits, des légumes et de la viande. La clinique est aussi plus fréquentée parce que les malades ont maintenant les 50 cents requis pour une visite. L’infirmière énumère des avantages encore plus inusités : l’achat de toilettes par les ménages réduit la pression mise sur les latrines publiques qui sont, chacune, utilisées en moyenne par 50 personnes !
Davantage de jeunes fréquentent l’école. Le taux de décrochage variait de 30 à 40 % avant l’instauration du revenu garanti. Il est passé à 5 % six mois plus tard et il était presque nul neuf mois après l’entrée en vigueur. Le nombre de parents payant les droits de scolarité a doublé pour atteindre 90 %. La meilleure santé financière des établissements leur permet d’acheter davantage de fournitures pour les élèves.
Des craintes infondées
Le revenu garanti a engendré un autre effet surprenant : un accroissement des revenus et une activité économique beaucoup plus forte. Avec maintenant un peu d’argent dans les poches, plusieurs villageois ont créé des micro-entreprises, comme dans les domaines de la coiffure, de la pâtisserie ou de la fabrication de briques. En un an, les revenus tirés des salaires ont augmenté de 19 %, de 36 % pour l’agriculture et de 301 % pour le travail autonome ! Ces données prouvent qu’un revenu garanti n’encourage pas la paresse ou la dépendance, comme l’avançaient ceux qui s’opposaient à cette initiative.
Les craintes liées à une montée de l’alcoolisme ne se sont pas avérées. De plus, les crimes liés à la pauvreté (chasse illégale, vols ou entrées par effraction) ont chuté de moitié. Le revenu garanti affranchit aussi les femmes. Plusieurs n’ont plus à se prostituer occasionnellement pour survivre.
Après un an, les résultats de mi-parcours de ce projet pilote sont encourageants et ils excèdent les attentes de la Coalition qui le parraine. La communauté a adopté cette initiative et elle est déterminée à en faire un succès. La Coalition espère maintenant convaincre le gouvernement namibien d’adopter le revenu de base garanti pour l’ensemble du pays.
Malgré toutes ces bonnes nouvelles, le revenu garanti demeure une mesure limitée qui ne constitue pas une panacée pour surmonter les défis socio-économiques de la Namibie. Cette initiative doit être accompagnée par d’autres changements structurels et par des mesures de répartition de la richesse et de création d’emplois. Toutefois, le revenu de base garanti est un point de départ prometteur pour enrayer la pauvreté qui accable tant de Namibiens.