Billet

Avant d’abattre notre dernier arbre...

jeudi 2 novembre 2006, par Normand Baillargeon

Le saviez-vous ? L’île de Pâques était autrefois luxuriante. Puis, ses habitants se divisèrent en clans fortement hiérarchisés en perpétuelle guerre les uns contre les autres. Pour impressionner leurs ennemis et amadouer leurs dieux, ces clans se mirent à ériger les statues qu’on connaît bien et, pour cela, à abattre des arbres afin de les transporter et les ériger. Cette pratique amorça une mortelle spirale écologique, qui aboutit à la transformation de l’île en un endroit à peu près inhabitable, et ses habitants en malingres fantômes.

Si les Pascuans n’ont pu arrêter cette spirale c’est notamment, on le sait aujourd’hui, qu’ils n’ont pu sortir des cadres institutionnels et idéologiques dans lesquels ils vivaient et qui les empêchaient de concevoir qu’autre chose était nécessaire et possible. La hiérarchisation de leur société ; la nécessité présumée de l’appel aux dieux ; la confiance que l’avenir réglera tous les problèmes ; la conviction que les ressources sont inépuisables : tout cela conduisit au jour fatidique où, quelque part sur cette île minuscule, quelqu’un abattit un arbre qu’il savait sans doute être le dernier.

Si cette histoire vous fait songer à la nôtre, vous avez, hélas, bien raison. Et c’est justement pour cette raison que Ronald Wright la conte dans Une brève histoire du progrès (HMH Hurtubise, 2006). Notre confiance aveugle en un avenir qui réglera tous nos problèmes s’appelle le marché ; nos statues sont le profit ; notre hiérarchisation se nomme ploutocratie. Notre spirale infernale est bel et bien amorcée, et puisqu’en un sens très fort la civilisation est désormais une, si on l’envisage à cette échelle mondiale à laquelle tous les habitants de la planète bleue dépendent les uns des autres, la chute de cette civilisation-là ne concernera pas seulement, cette fois, une minuscule île isolée du monde, mais bien chacun de nous.

Envisagés de ce point de vue, ce ne sont pas seulement certains des plus graves problèmes auxquels l’humanité fait face aujourd’hui qui sont absolument terrifiants, mais bien notre incapacité collective à sortir, d’abord par la pensée, des cadres institutionnels où ils sont apparus et qui les ont causés. Le réchauffement planétaire, par exemple, est désormais un fait admis, même par ces corporations organisées en lobbies et qui, hier encore, le mettaient en doute . Mais peut-on raisonnablement penser que notre économie de marché permet de faire face à ce qui s’annonce, dans les années qui viennent, comme ce qui sera la plus grave crise à laquelle l’humanité aura à faire face ? Je pense au contraire que s’en tenir à ce cadre pour affronter cette crise, c’est se condamner à abattre le denier arbre. De même, sur le plan politique, comment combler le profond déficit démocratique qui afflige nos sociétés de l’intérieur et l’ordre mondial de l’extérieur, tous deux soumis à la collusion de corporations, de ploutocraties et de décideurs politiques qui, trop souvent, ne représentent pas plus les positions des électeurs qu’ils n’en tiennent compte.

Si la plupart des gens conviennent que nous en sommes là, bien peu possèdent ou cherchent des réponses à la question de savoir comment sortir de nos institutions et quoi mettre à leur place.

C’est contre cette carence suicidaire de vision que travaille le Project for a Participatory Society, groupe auquel participe l’auteur de ces lignes. Celui-ci réunit justement des militantes et militants de nombreux pays qui proposent, discutent et évaluent des idées radicales en vue d’un avenir désirable aussi bien sur les plans social, économique, politique que culturel. Les valeurs qui inspirent ses travaux sont la solidarité, la diversité, l’équité, l’autogestion, la justice et le développement durable.

Les sujets qui s’y discutent sont de la plus haute importance. À quoi pourrait ressembler une économie respectueuse des valeurs nommées plus haut, une économie qui permettrait d’échapper à la folle spirale tout en accomplissant, à la satisfaction de tous les participants, les fonctions attendues d’une économie ? Comment la prise de décision devrait-elle être faite pour que nos institutions politiques fonctionnent, elles aussi, dans le respect de ces valeurs et permettent, cette fois encore, d’échapper à la mortelle spirale ? Et bien d’autres encore.

Avant que l’on n’abatte notre dernier arbre...


http://www.zmag.org/pps.htm

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