Asunción - Cinq ans seulement après l’apparition du soja transgénique au Paraguay, les répercussions environnementales se font déjà sentir, conséquences directes de cette monoculture extensive.
« Une agriculture viable doit être diversifiée, souligne José Ibarra, ingénieur-agronome. Par contre, ici, c’est du soja sur des millions d’hectares. Évidemment, écologiquement ce n’est pas une culture souhaitable. De ce point de vue, en fait, toute monoculture est douteuse. »
Ingénieur socio-environnemental, Ulises Lovera abonde dans le même sens : « Aucune monoculture n’est bénéfique, et toutes amènent des déséquilibres environnementaux. De plus, la grande superficie de la culture en question augmente les attaques des insectes nuisibles. Par ailleurs, la rapidité de cette avancée du soja est très grave parce que l’on commence à perdre tous les bienfaits de la biodiversité. »
Cette perte très préoccupante est la conséquence directe de l’envahissement du soja sur les forêts primaires, entre autres dans la région orientale du Paraguay, proche de ses frontières brésiliennes. « Avec la déforestation, il y a une perte de protection naturelle pour les rivières, les eaux souterraines et l’ensemble du système hydrologique, explique José Ibarra. La culture du soja se fait bien souvent jusqu’aux bords des cours d’eau et ceux-ci ne sont donc pas protégés des pesticides, qui polluent ensuite les nappes phréatiques. » On constate ainsi la disparition d’écosystèmes qui jouaient le rôle de régulateurs, comme les milieux humides et les terres inondées, nécessaires à leur équilibre.
Par ailleurs, la terre des champs paraguayens perd peu à peu de sa célèbre et mythique fertilité. « La surutilisation de produits chimiques fait que les nutriments présents dans le sol vont s’amenuisant. De plus, celui-ci devient graduellement pauvre et sablonneux à cause de l’érosion éolienne et hydrique. Enfin, comme si ce n’était pas suffisant, la terre absorbe une quantité importante de produits chimiques excessivement nocifs », affirme l’ingénieur environnemental Robert Rolon.
Cette utilisation excessive de fertilisants et de pesticides en inquiète plusieurs, puisqu’elle affecte à long terme l’environnement, et ce, même dans des territoires où ne se cultive pas encore le soja transgénique, de par l’effet de contamination. Lis Kreytmayr, toxicologue, explique que « les pesticides sont dispersés par le vent, ce qui fait qu’ils se rendent dans des régions où son utilisation n’est pas nécessairement planifiée. Ces mêmes produits pénètrent ensuite les sols des régions affectées et tardent à se dégrader ». Un de ceux-ci, le glyphosate, principal élément du Round Up (le produit utilisé dans le cas du soja RR), détruit entre autres les cultures de subsistance. « Le soja transgénique RR tolère le glyphosate, mais les cultures voisines, qu’elles soient conventionnelles ou non, ne le tolèrent pas et subissent par conséquent des dommages irréparables. »
Des alternatives au soja transgénique ?
Quelles sont les solutions pour renverser cette destruction des écosystèmes paraguayens ? « Il existe plusieurs stratégies », affirme Tomas Zayas, dirigeant de la Centrale nationale d’organisations agricoles du Paraguay (CENOCIP). « L’une d’entre elles étant la reconstruction de la communauté formée par les agriculteurs. La défense et l’élaboration d’un modèle de développement agro-écologique comme politique anti-néolibérale représentent une autre option valable. »
Pour Ulises Lovera, « les solutions seraient de diminuer la zone de culture du soja et que le gouvernement agisse en offrant un incitatif aux propriétaires privés pour qu’ils réalisent des activités disons plus amicales envers l’environnement ». Toutefois, indique l’ingénieur agricole, « ici, il manque de volonté politique ».
Ingénieur en écologie humaine, Fabricio Vasquez met lui aussi l’accent sur le rôle de l’État pour favoriser la mise en place d’alternatives à la sojisation : « C’est l’État paraguayen qui est appelé à redéfinir sa stratégie de développement national et d’intégration régionale : le Paraguay doit définir conjointement son modèle de développement avec ses voisins. »
Rosa Oviedo, professeure en production agricole à l’Université nationale du Paraguay, croit pour sa part qu’il est essentiel de respecter au Paraguay tous les systèmes de production afin de conserver la diversité des cultures caractéristiques du pays depuis sa création. « On doit maintenir durables tous les systèmes en question. On ne peut pas obtenir d’un petit producteur qu’il maintienne son système traditionnel de production si cet homme peut à peine survivre [...] il doit donc avoir un accès au crédit, il doit avoir un soutien technique et, surtout, il doit légaliser la situation de sa propriété. »
Les alternatives au développement actuel de l’agroindustrie paraguayenne ne manquent pas. Elles nécessitent néanmoins la participation effective du gouvernement d’Asunción pour protéger les droits sociaux et économiques des petits producteurs agricoles. Ainsi, la lutte sociale menée par les paysans, depuis la mort en 2003 du jeune Silvino, intoxiqué au Round Up, n’aura pas été vaine.