Depuis sa conquête du pouvoir à la faveur d’un coup d’État militaire sans effusion de sang, en 1999, il est parvenu à se maintenir au sommet en bâillonnant les forces démocratiques et en manipulant les élections locales et nationales. Mais encore là, il n’y a rien de très nouveau. Au Pakistan, les coups d’État militaires se déroulent en général sans violence. Ce sont plutôt les dictatures qui prennent fin de manière sanglante.
À cet égard, est-ce que la récente vague de violence qui a déferlé sur le pays constitue un indice que la dictature du général Musharraf tire à sa fin ?
En fait, peu importe l’avenir qui attend le dictateur, une chose paraît acquise. Les jours de la dictature sont comptés et M. Musharraf travaille plus ou moins adroitement à s’aménager une porte de sortie. Le 9 mars, il a renvoyé le juge en chef de la Cour suprême pour mieux avoir la mainmise sur les élections à venir. Mais la tactique lui a rebondi au visage, au point que la Cour suprême a réintégré le juge le 21 juillet.
Entre temps, le mouvement pour la démocratie au Pakistan, qui couvait depuis des années, est sorti de sa torpeur. Des centaines de milliers de Pakistanais ont participé au mouvement de protestation contre le renvoi du juge en chef. Évoquant les grands rassemblements qui ont marqué la visite du magistrat dans l’est du pays, un journal a même écrit : « Au Penjab central, aucun événement politique n’avait atteint une telle ampleur depuis... 1986. » Le général en a été réduit à utiliser ses alliés provinciaux à Karachi pour déchaîner la violence et terroriser la population afin que l’agitation ne s’étende pas à la grandeur du pays.
Double jeu politique
Quand on y pense, le règne du général Musharraf aura été bien étrange. Il a commencé en 1999 avec le renversement d’un gouvernement démocratiquement élu. Il a aussi coïncidé avec le renforcement du gouvernement des talibans en Afghanistan, que le Pakistan avait été le premier pays à reconnaître officiellement. Mais le flirt au grand jour avec les talibans aura été de courte durée. Pour être précis, il s’est terminé dans les heures qui ont suivi les attentats du 11-Septembre , lorsque Washington a dit à Musharraf : « Ou bien vous êtes avec nous, ou bien nos bombes vont vous ramener à l’Âge de pierre. »
Malgré leur arrogance sans borne, ce genre de menaces impérialistes ne peut pas être pris à la légère, surtout lorsqu’ils s’appuient sur une puissance de feu comme celle des États-Unis. En tout cas, le pragmatique Musharraf n’a eu aucun mal à convaincre ses généraux d’opérer un revirement d’alliance après septembre 2001. Et le double jeu politique a commencé. Pendant qu’une portion de l’armée sympathique aux talibans empêchait Musharraf de déclencher une guerre totale contre ces derniers, les diktats et les milliards de dollars américains le poussaient à faciliter les attaques contre leurs bastions. Autrement dit, la main gauche ne voulait surtout pas savoir ce que faisait la main droite.
Reste que cette année, au moment même où le renvoi du juge en chef de la Cour suprême provoquait un vaste sursaut démocratique, un autre phénomène se développait. Des extrémistes islamistes, qui occupaient une mosquée dans la capitale, se sont mis à commettre des enlèvements et toutes sortes d’actes de violence pour imposer des règles islamiques rigides à tout le pays. Ils défiaient ouvertement le général.
Dans un premier temps, Pervez Musharraf a refusé d’intervenir, prétextant que l’attaque d’une mosquée aurait de graves conséquences. Puis il a changé d’avis, avec pour résultat que des centaines de personnes ont trouvé la mort lors de l’attaque de la mosquée par l’armée, en juillet.
Que cela plaise ou non à M. Musharraf, seules des institutions démocratiques bien implantées peuvent défaire les forces réactionnaires à long terme. Et cela ne peut pas se produire du jour au lendemain. Ni même en détruisant toutes les mosquées rouges du pays. Ce qui explique un peu que depuis l’attaque, le général se retrouve dans une situation délicate. D’un côté, il a fini par céder aux pressions du mouvement démocratique en laissant réhabiliter le juge en chef de la Cour suprême. D’un ’autre, il a violemment réprimé un début d’insurrection islamiste.
Il semble que M. Musharraf veuille se faire réélire président par le Parlement et par les assemblées provinciales actuelles, pour ensuite négocier un accord de partage du pouvoir avec les deux principaux partis politiques en exil, en particulier le Parti du peuple pakistanais de Mme Benazir Bhutto. Il ne lui resterait plus qu’à nommer un responsable de l’armée de son choix pour ensuite, si les choses se passent bien, mener un gouvernement transitoire jusqu’à des élections.
Est-ce que le général serait vraiment prêt à retirer son uniforme et à prendre sa retraite de président de la république en temps que civil, après qu’un gouvernement de transition ait supervisé le déroulement d’élections ? En tout cas, la population du Pakistan ne demande pas moins.
Un événement pourrait toutefois venir tout chambouler : une attaque unilatérale des États-Unis en territoire pakistanais contre les talibans. Dans son dernier document, la US Intelligence Estimate Report associe les zones tribales administrées par le gouvernement pakistanais à un sanctuaire pour Al Qaïda. Dans une conférence de presse suivant la publication du document, Frances Townsend, conseillère de l’administration Bush en matière de renseignement, a même déclaré que les États-Unis pourraient finir par envisager en territoire pakistanais des frappes unilatérales contre des objectifs associés aux talibans ou à Al-Qaïda.
Pour qu’une telle attaque puisse se produire, le président Musharraf devrait sans doute imposer l’État d’urgence. Et alors on ne saurait minimiser l’ampleur de la colère des gens du Pakistan. Ni encore moins prévoir leur réaction.