Le Cambodge, lointain pays du Sud-est asiatique, est pour la plupart des gens synonyme de génocide, de guerre et de pauvreté. En effet, le pays est tristement célèbre en raison du cruel régime maoïste des Khmers rouges de Pol Pot qui a plongé le pays dans trois décennies de guerre civile.
De 1975 à 1979, le régime a causé la mort de près de deux millions de Cambodgiens par des purges d’opposants politiques, de minorités ethniques et religieuses. Les Vietnamiens, les Chinois, les Musulmans (chams), les moines bouddhistes et les malades ont été particulièrement visés. La majorité des décès est attribuable aux déplacements de population, aux famines et aux maladies causées par les politiques dévastatrices de collectivisation des terres et d’exode urbain du régime de Pol Pot. Ce dernier a été retrouvé mort en 1998, après avoir mené, avec ses partisans, une guérilla meurtrière dans les montagnes à la frontière de la Thaïlande. Les autres hauts responsables, les Khmers rouges, sont alors emprisonnés et quelques-uns attendent actuellement d’être jugés par les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide.
Malheureusement, les conséquences de ces décennies de guerre se font encore sentir durement au Cambodge. Entre autres, les Khmers rouges ont ébranlé la cohésion familiale, ce qui a fortement dévalorisé le statut social de la femme. Aujourd’hui, l’homme a un statut social supérieur à celui de la femme, autant dans la famille que dans la société cambodgienne. Il doit avoir le dernier mot dans toute affaire familiale et la femme doit s’abstenir d’argumenter ou de critiquer. C’est ce que les fillettes apprennent dès le primaire avec le Chbab Srey, le Code de la femme : elles doivent « suivre les commandes de leur mari comme une esclave ». La femme doit garder sa virginité intacte pour le mariage. Un vieil adage khmer dit : « l’homme est de l’or et la femme est du coton ». Autrement dit, l’or souillé se lave alors que le coton, lui, restera usagé. Cette norme sociale est poussée à l’extrême en milieu rural : une femme ayant été violée sera ostracisée par sa communauté et sa famille et elle ne pourra pas trouver de mari.
La soumission de la femme à l’homme favorise l’acceptation de la violence physique, psychologique et sexuelle que les fillettes et les femmes cambodgiennes subissent. La violence domestique est chose courante : 22 % des femmes mariées âgées de 15 à 49 ans l’ont connue et, bien souvent, elles n’osent pas la dénoncer. En effet, 81 % des femmes admettent qu’elles ne dénonceraient pas les abus commis par leur mari. Porter plainte coute l’équivalent de 14 $, soit plus de 10 % du salaire annuel cambodgien. Celles qui engagent des poursuites contre leur mari violent sont ensuite marginalisées par leur communauté. La réconciliation est toujours la solution proposée par les autorités locales, le divorce est rarement envisagé. La société et la justice cambodgienne sont par contre moins tolérantes dans les cas où la violence familiale entraine la mort de la femme. Pour tous les cas répertoriés par ADHOC en 2010 qui ont été amenés devant la justice, le responsable a été puni.
Le viol est également un type de violence sexuelle répandue au pays et touche de plus en plus les mineurs. Malheureusement, aucune statistique officielle n’est disponible. De tous les cas recensés par le Cambodian Human Rights and Development Association (Ad Hoc) chaque année, plus de 60 % des viols sont commis sur des mineurs. Ce type de viol est plus facile à dénoncer contrairement à celui commis au sein d’un couple, car la femme cambodgienne est censée répondre à toutes les demandes de son mari. Encore une fois, la culture y joue un rôle primordial. Une certaine croyance est très répandue en Asie du Sud-est : avoir des relations sexuelles avec des mineurs rajeunit, blanchit la peau ou guérit du SIDA. Une autre théorie avancée est que la recrudescence du HIV/SIDA entraîne certains hommes à délaisser les prostituées, hautement infectées, pour violer des mineurs.
Dans les cas de violence domestique comme dans les cas de viols, les raisons pour lesquelles les femmes ne dénoncent pas les violences sont variées. Bien souvent, les femmes n’ont pas confiance envers le système judiciaire, parce qu’il donne plus souvent raison aux hommes et parce qu’il est corrompu. Les pots-de-vin qui doivent être donnés à plusieurs officiers de la Cour découragent bien des victimes. La peur de la stigmatisation par la communauté, le manque de connaissance de leurs propres droits et la peur des représailles par les responsables sont d’autres facteurs qui effraient les femmes violentées. Les ententes à l’amiable, où l’agresseur et sa famille donnent de l’argent à la victime en échange d’un abandon des poursuites, sont un obstacle majeur. Parfois, même la police ou le personnel de la Cour aident à obtenir de tels arrangements illégaux.
Le gouvernement, face à de telles violations, a adopté quelques lois pour punir les responsables. Depuis 2005, une loi pour prévenir la violence domestique et protéger les victimes a été adoptée et le viol est également sévèrement puni par le Code pénal cambodgien. La corruption et la banalisation de la violence faite aux femmes empêchent pourtant la mise en œuvre efficace de ces lois et les victimes peuvent difficilement trouver justice.
Le tableau n’est cependant pas complètement sombre : les femmes s’organisent pour revendiquer leurs droits, des dizaines d’organisations tentent d’aider les victimes de violence. Les tabous sexuels et le statut social inférieur de la femme persisteront sans doute longtemps en milieu rural, mais la nouvelle génération de jeunes filles éduquées, surtout dans la capitale, souhaite changer les stéréotypes existants.