Cet été, la fonte des glaces a frôlé le record de 2007. Beaucoup déplorent cette performance, d’autres, au contraire, s’en frottent les mains.
Pourquoi ? Parce qu’au-dessus du 66ème Parallèle Nord, un nouveau chapitre de l’Histoire est en train de s’écrire.
Il pourrait débuter comme ce mythe de l’Antiquité grecque dans lequel une pomme d’or est jetée devant trois déesses. Gravés dans le fruit, quelques mots, À la plus belle, piquent leur orgueil, et les voilà qui se disputent l’honneur de recevoir ce trophée.
L’une d’elles y parviendra. Mais la sagesse antique nous enseigne que cette querelle des egos aura eu un prix : le déclenchement d’un conflit destructeur pour la ville de Troie.
La disparition de la banquise va changer la face de notre monde, un bouleversement dont certains ont l’intention de tirer parti. Pour ces visionnaires, l’océan Arctique bientôt libéré des glaces ressemble sans doute à une pomme dorée sur laquelle ils sont convaincus de lire Au plus puissant.
La guerre de Troie aura-t-elle à nouveau lieu ? Peut-être a-t-elle déjà commencé.
Pleins feux sur une bataille qui ne dit pas son nom
Août 2007. Océan arctique, à plus de 4 000 mètres de profondeur. Deux bathyscaphes russes, descendus à l’aplomb du pôle Nord, y déposent leur drapeau national. A ce moment, le monde entier découvre qu’à l’abri des regards se joue une compétition féroce.
Le geste des scientifiques russes manifeste bien plus que la simple fierté nationale d’avoir réalisé un exploit au nom de l’humanité. Par cet acte purement symbolique, la Russie expose clairement ses prétentions. « L’Arctique a toujours été russe et il sera russe », comme l’a déclaré Arthur Tchilingarov, chef de cette expédition polaire exceptionnelle.
Les réactions ne se sont pas fait attendre, surtout dans les régions voisines du pôle. C’est à cette époque que Stephen Harper annonce un certain nombre d’initiatives visant à occuper le vide de l’Arctique canadien. On en retient le lancement de l’opération Nanook, le plus important exercice militaire de l’histoire du pays, ainsi que la mise en chantier du premier port militaire arctique en eaux profondes.
Ailleurs, on apprend que la Chine inaugure une base scientifique sur l’archipel norvégien du Svalbard (2007), que la France se dote d’un ambassadeur des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique (2009), ou encore que le Japon demande un siège d’observateur au sein du Conseil de l’Arctique (2009).
Pourquoi autant d’agitation autour de l’un des plus petits océans du monde ? Business as usual.
La fonte de la banquise donne à la région des allures d’Eldorado en permettant l’exploitation prochaine d’importantes réserves en pétrole, gaz et minerais. Elle ouvre aussi des voies navigables qui faciliteront les échanges commerciaux entre l’Asie et l’Occident.
Face à de telles perspectives de profit, la tentation est grande de se l’accaparer. Alors, on militarise, on industrialise, on colonise.
Le coup d’envoi de la ruée vers le Nord
Aujourd’hui, l’océan Arctique occupe moins de place dans les médias, mais la course à ses richesses débute à peine.
Au Canada, pendant que Jean Charest vend son Plan Nord à la Chine et à la France, le projet militaire Nanook prend de l’ampleur.
Seulement, les responsables politiques ne sont pas les principaux acteurs de la bataille pour le Grand Nord. Leurs décisions sont guidées par les intérêts des firmes multinationales, très actives dans l’exploitation des ressources présentes et à venir de la région arctique.
Comme l’a récemment relevé Le Devoir, une centaine de lobbyistes du secteur minier se sont inscrits sur le registre québécois. Sur le terrain, ces entreprises se dispersent dans les zones stratégiques.
Avec l’ouverture du passage maritime du Nord-Ouest, le port Churchill de la baie d’Hudson deviendra le grand terminal d’entretien et de ravitaillement du continent. Une aubaine pour la société américaine OmniTRAX qui a obtenu en 1997 son exploitation contre un dollar symbolique.
En décembre 2006, Dong, spécialiste danois de l’énergie, et les compagnies nord-américaines Exxon, Chevron et Husky ont déposé une demande d’attribution de licences d’exploitation concernant une zone offshore située sur la côte occidentale du Groenland. Une course au pétrole dans laquelle la compagnie française Total est elle aussi bien engagée.
Les potentiels groenlandais en minerais étant tout aussi alléchants, les deux plus grands aluminiers du monde, le norvégien Norsk-Hydro et l’américain Alcoa, s’implantent également.
La compagnie maritime danoise Maersk, quant à elle, fait ce qu’il faut pour s’imposer comme le premier armateur du Grand Nord, alors qu’une autre navigation y est en plein développement : les croisières touristiques.
La morale de cette histoire ?
S’il vous arrive de perdre le Nord, soyez rassurés.
Il ne sera pas perdu pour tout le monde...
Photo : L’Homme de Vitruve revisité par John Quigley dans le cadre d’une opération de sensibilisation aux conséquences du réchauffement climatique, organisée par Greenpeace au début du mois de septembre.
Crédits photo : Nick Cobbing / Greenpeace