Architectes du changement dans les Amériques

lundi 15 juin 2009, par Fanny-Pierre Galarneau

Photo : Fanny-Pierre Galarneau
Photo : Fanny-Pierre Galarneau

Être architecte de transformations sociales, agent multiplicateur de ses propres alternatives, porte-voix et témoin qu’un autre monde est possible, voici les possibilités inouïes des stages jeunesse.

Les stages soulignent la nécessité de participer à la concrétisation d’alternatives viables. Pour construire, il est également fondamental de créer des espaces citoyens de réflexion, de partage des savoirs permettant collectivement de dessiner des avenues plus saines pour la Terre-Mère. La 3e édition du Forum social des Amériques au Guatemala a su répondre à ces préoccupations.

La mise sur pied d’une programmation riche et variée a mis en lumière le pouvoir de l’art comme expression de luttes dans les Amériques, valorisant la communication critique et la création d’espaces de dialogue et de réseautage pour protéger la dignité humaine et la diversité terrestre. Le graffiti et le muralisme se sont démarqués comme médiums artistiques
privilégiés dans les Amériques pour stimuler les échanges, les dénonciations et la mémoire collective. La réalisation en direct d’oeuvres artistiques a été une occasion importante pour unir le traditionnel au moderne, l’individu au collectif et le matériel au spirituel. Les murs de l’USAC, université d’accueil de l’événement, en témoignent. Au cours de son histoire, les murs de l’institution ont servi de porte-voix artistique pour l’expression et la mobilisation contre la dictature militaire, pour parler des disparus. Cette mission artistique du Forum est le reflet d’une Amérique diversifiée, en mouvement, en couleurs et bouillonnante, elle donne une forme visuelle à d’infinies luttes invisibles. Dans plusieurs communautés, le graffiti joue un rôle éducationnel fondamental par son accessibilité. L’exemple brésilien en témoigne magnifiquement et sa richesse unique provient sans doute de l’inclusion des communautés dans
l’évolution de son langage.

Meeting of Favela (MOF III)

Le 30 novembre dernier s’est tenue la troisième édition de la convention nationale brésilienne de graffiti Meeting of Favela à Rio de Janeiro. Un nombre record de 200 artistes du territoire national se sont mobilisés. Cette popularité s’explique autant par la trajectoire des fondateurs de l’évènement que par la réalité quotidienne des habitants des communautés
cariocas. Kajaman explique que la multiplication d’expériences affligeantes, le manque d’opportunités pour les résidents des favelas et la présence dans les conversations quotidiennes d’armes, de drogues et des décès multiples l’ont beaucoup marqué. Suite à la perte d’amis et de proches impliqués dans le trafic de drogue ou décédés à la suite d’un vol, Kajaman a toujours gardé à l’esprit que ce qui leur avait manqué était un débouché. « Le crime possède un pouvoir de séduction inexplicable », dit-il. Pour Kajaman, ce fut différent. Il fut littéralement séduit par l’art. En 1997, la présence d’un graffiti réalisé par Fabio Ema, eut un véritable impact sur sa trajectoire. Il le qualifie de lavage cérébral. À l’époque, représentant MC lors d’un événement dans la communauté de Rocinha (zone sud de Rio de Janeiro), le contact avec le graffiti l’a tellement enchanté que ce fut, semble-t-il, la dernière fois où il aurait chanté comme rappeur. En 2000, lors de son premier contact avec la peinture en aérosol, il désirait déjà être le « coupable » multiplicateur de lavages cérébraux, déterminé à modifier le visage de sa communauté. Refusant que de bonnes personnes arrivent à s’impliquer dans le crime par manque d’opportunités, il se sentait déjà dans l’obligation d’enseigner son art sans même avoir trop d’habiletés avec le spray, ni d’ambitions précises avec le graffiti. Animé par la volonté d’attirer les jeunes à ses côtés et de les protéger grâce à ce médium artis-
tique, il raconte sa mission auprès des jeunes en riant, car parfois il ne savait pas quoi leur transmettre. L’artiste armé d’une vision humaine exceptionnelle explique comment chaque graffiteur est avant tout un être humain. Dans cette optique, il désapprouve l’usage du graffiti pour se promouvoir personnellement alors que d’autres meurent hebdomadairement par faute d’informations. Satisfait de l’évolution de plusieurs artistes, il espère que tous chercheront et resteront liés à leurs origines, et garderont en mémoire les sacrifices passés pour évoluer dans leur cheminement artistique. L’ensemble de ces valeurs conjuguées à la nécessité de s’unir et de dialoguer a permis l’émergence de Meeting of Favela, où l’ancien se lie au nouveau, où les différences d’opinions se rencontrent et où des espaces alternatifs de communication et d’empowerment sont crées pour des populations réellement dans le besoin. La participation record à la convention MOF III montre que le désir de changement est immense. Comme l’explique l’artiste, le graffiti est devenu un prétexte en or pour prouver à tous que le changement est toujours chose possible.

Graffiti au féminin

Dans la même veine, Grafiteiras pela Lei Maria da Penha est un projet innovateur de l’organisme COMCAUSA. L’organisme vise à promouvoir la loi Maria da Penha, une loi bénéfique aux femmes victimes de violence conjugale. Le projet a mobilisé 15 graffiteuses afin de promouvoir cette loi dans la Baixada Fluminense et plusieurs régions périphériques de Rio de Janeiro à travers des ateliers communautaires de graffiti. Ces artistes ont
confectionné des murales autour d’un poste de police spécialisé dans la réponse aux besoins des femmes. L’usage de la rue comme porte-voix permet de rompre avec les divisions sociales et raciales et devient un lieu accessible d’informations et de prévention pour les communautés où les victimes comme les agresseurs peuvent être interpelés. Grafiteiras Pela Lei Maria da Penha est donc un exemple de recherche de nouvelles formes d’expressions pour débattre de questions sociales, dont celle de la violence contre les femmes. Le projet permet la formation de jeunes artistes issues de diverses communautés à transmettre leurs savoirs à d’autres jeunes vulnérables à cette violence. Ces agentes multiplicatrices contribuent également à augmenter la présence féminine dans le monde du graffiti et donnent une force nouvelle à l’évolution de ce langage. Les ateliers d’éducation deviennent donc un espace de transmission fondamental pour valoriser les mécanismes juridiques de la loi et pour en accroître la connaissance du public. Pour stimuler l’intérêt des jeunes filles, des projections audiovisuelles sont organisées afin de présenter les diverses interventions des grafiteiras, mais aussi pour dévoiler les possibilités d’épanouissement et d’autodétermination de chaque femme, dans un milieu propre à les faire évoluer. Oeuvrant à l’intérieur de leurs communautés, elles arrivent à sensibiliser publiquement et rejoindre autant les femmes que les hommes, les jeunes comme les personnes âgées, sur le droit à l’autodétermination et à la dignité des femmes. En somme, au moins 120 femmes ont été rejointes par le projet, et sont devenues, à leur tour, des agentes multiplicatrices pour l’amélioration des
conditions de vie des femmes.

Certains disent que la Révolution ne sera pas télévisée. L’important c’est qu’elle est en train de se peindre !

http://www.meetingofavela.blogspot.com/

http://www.flickr.com/photos/clarissapivetta

http://graffiteirasbr.blogspot.com/


Fanny-Pierre Galarneau a réalisé un stage chez Alternatives au sein du Movimento Cultural Canta Brasil, au Brésil en 2006 et a participé à la couverture journalistique du Forum social des Amériques au Guatemala en octobre 2008.

Canta Brasil à pour but d’encourager la relève artistique chez les jeunes de la région. Cette organisation encadre plus de 350 jeunes des quartiers de Mathias Velho, Santo Operário, Vila Cerne et Contel. Son programme de formation artistique est composé de cours de danse de ballet classique
et de hip-hop ainsi que de cours de chants. Canta Brasil offre un programme culturel, permettant à ses participants d’obtenir une bourse d’études leur permettant de stimuler leur implication communautaire et de recevoir des formations d’entrepreneurship.
www.cantabrasilsul.org.br

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Crédits Alizés, volume 2, numéro 2

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