Anti ou alter-américanisme ?

lundi 27 octobre 2003, par Francis Dupuis-Déri

Francis Dupuis-Déri

Plusieurs militants du mouvement « altermondialiste » grimacent d’horreur quand je leur dis que je suis affilié depuis presque trois ans à une université américaine. C’est que l’« anti-américanisme » est fort répandu au sein de la gauche en général et du mouvement altermondialiste en particulier. Quoi de plus révélateur, à ce sujet, que les sourires sadiques qui illuminèrent tant de visages militants à l’annonce des attaques aériennes du 11 septembre contre les États-Unis. Dans le milieu anarchiste français où j’ai navigué quelques mois dans le cadre des mobilisations contre le G8 à Évian, en juin 2003, il n’était pas rare qu’on me dise qu’il ne fallait jamais mettre les pieds aux États-Unis. Visiter les États-Unis participerait, selon cette logique, à la légitimation de la puissance américaine militariste, injuste et raciste.

J’en suis venu à souligner deux contradictions qui minent cet anti-américanisme globalisant. Pour un anarchiste, tous les États devraient être considérés comme illégitimes, puisqu’ils sont tous par définition autoritaires et hiérarchiques. S’il faut boycotter les États-Unis, il faudrait également s’exiler de la France, elle aussi puissance militariste (intervention en Côte d’Ivoire, par exemple) et raciste (20 % de suffrages pour le Front national aux élections présidentielles en 2002). Plus important encore, l’anti-américanisme globalisant fait oublier qu’il y a des milliers de militants de gauche et d’extrême gauche actifs aux États-Unis qui seraient insultés d’être confondus avec le gouvernement de la Maison Blanche.

C’est un immense Empire bigarré qui s’étend sur ce territoire connu sous le nom trompeur d’États-« Unis ». Que de différences entre chacune des mégalopoles (New York, Los Angeles, Chicago, etc.), mais aussi entre ces villes et les campagnes, entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, entre les pauvres et les riches, entre les « Blancs », les Afro-Américains et les Latino-Américains, entre les chrétiens ultra-orthodoxes et les juifs, les musulmans et les athées, les militants des Black Blocs et les policiers, les millions de détenus et leurs gardiens de prison.

Des milliers d’anarchistes, d’écologistes, de féministes et de pacifistes y sont, sur la ligne de front qui passe au coeur même de l’Empire. Ils militent dans des organisations comme Act Up !, Justice for Janitors, Public Citizen, AK Press, Ruckus Society et ils ont comme alliés Noam Chomsky, Michael Moore, Howard Zinn, Murray Bookchin et bien d’autres, tous d’ardents défenseurs de la liberté, de l’égalité et de la justice. Trop nombreux sont leurs compatriotes qui les accusent d’être des traîtres qui commettent des actes non-américains (unamerican acts), une expression qui en dit long sur la vision homogénéisante qu’entretiennent beaucoup d’Américains de droite sur leur propre pays et qui vaut bien l’anti-américanisme globalisant de la gauche.

Tout comme les militants « antimondialisation » préfèrent aujourd’hui l’étiquette d’« altermondialisation » qui évoque l’idée qu’une « autre mondialisation est possible », il faudrait passer de l’« anti-américanisme » à l’« alter-américanisme » pour souligner notre solidarité avec l’Amérique qui dénonce et qui lutte, dans des conditions pénibles, contre les méfaits des divers pouvoirs illégitimes qui sévissent aux États-Unis et ailleurs.

Francis Dupuis-Déri


L’auteur est écrivain et chercheur en science politique au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston.

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