
Des anarchistes de Boston avaient annoncé sur Internet qu’une rencontre ouverte à tous aurait lieu mercredi 5 mai, dans une salle au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où je suis chercheur en science politique. Il s’agissait de commencer à planifier la mobilisation contre la convention d’investiture du Parti démocrate, devant se dérouler à Boston en juillet.
Curieux, je me suis rendu au lieu de rendez-vous, pour découvrir une porte close devant laquelle trois policiers montaient la garde. « La réunion a été annulée par l’administration », donnaient-ils comme explication. L’étudiant qui avait fait la réservation, et chez qui la réunion a finalement eu lieu, avait été contacté la veille par l’administration qui avait reçu la visite d’agents du FBI venus poser des questions sur cette réunion d’anarchistes... une petite anecdote révélatrice de l’ambiance politique aux États-Unis, où les dissidents sont encore mal vus, près de trois ans après les attaques du 11 septembre 2001. Les États-Unis sont en guerre et la dissidence a rarement la cote en temps de guerre.
Mais le vent tournera peut-être cet été. Trois événements à venir peuvent redessiner le rapport de forces politiques et favoriser le dynamisme d’un mouvement social contestataire qui avait tant surpris à Seattle le 30 novembre 1999, mais qui avait été pris au dépourvu par les attaques du 11 septembre 2001. Début juin, se tiendra le Sommet du G8 à Sea Island, à quelques dizaines de kilomètres de la côte de la Georgie. La mobilisation sera difficile dans ce lieu peu urbanisé, mais des événements - forums populaires et manifestations - sont déjà planifiés à Savannah et Brunswick, avec l’aide logistique des militants d’Atlanta (www.freesavannah.com).
Viendront s’y faire voir le candidat démocrate John Kerry et le candidat indépendant Ralph Nader. À la fin juillet, les démocrates tiendront leur convention à Boston. Divers événements militants y sont également déjà prévus, ainsi qu’un forum social (www.bostonsocialforum.org). À la fin août, enfin, de grandes manifestations doivent avoir lieu à New York, où se déroulera la convention d’investiture républicaine.
Ces événements vont être autant d’occasions pour le mouvement social de cristalliser le malaise et la colère face à cette occupation de l’Irak qui se transforme de plus en plus en fiasco médiatique. Ces centaines de morts américains, ce n’est rien pour la plus grande force militaire du monde, mais c’est énorme aux yeux de l’opinion publique. Au cœur de l’empire, les langues ont donc commencé à se délier, surtout à l’occasion des campagnes au leadership des deux grands partis, les démocrates étant à la recherche d’arguments pour convaincre les électeurs de leur offrir la Maison-Blanche. Les images des sévices infligés aux prisonniers en Afghanistan et en Irak sont à ce titre un cadeau électoral inespéré (quand apprendrons-nous ce qui se passe à Guantanamo ?). Sur un autre front, Bush II est parvenu à si bien inquiéter les partisans du droit des femmes à l’avortement qu’environ un million de personnes se sont mobilisées en avril, et sont encore en état d’alerte.
La conjonction de cette politique internationale et nationale vient donner une signification politique particulière aux grands événements politiques de cet été. Ils offrent la possibilité au mouvement altermondialiste de se mobiliser à nouveau, dans toute sa diversité. Après avoir presque seuls assurés la garde sur le front de la lutte sociale depuis le 11 septembre 2001, les anarchistes et autres « radicaux » jeunes et moins jeunes vont enfin se retrouver au sein d’un vaste mouvement. Ils n’en auront qu’une plus grande marge de manœuvre, et la répression à leur égard sera un peu plus difficile.