Billet

Anarchie en Israël

mardi 23 juin 2009, par Francis Dupuis-Déri

Au début du XXe siècle, l’anarchisme s’est développé à Montréal par l’action de juives et de juifs qui fuyaient la violence antisémite et les troubles politiques et sociaux de l’Europe de l’Est (voir le livre de Mathieu Houle-Courcelles, Sur les traces de l’anarchisme au Québec 1860-1960). Ces anarchistes d’origine juive ont fondé des librairies, organisé des conférences (invitant à plusieurs reprises Emma Goldman), manifesté lors des 1er mai, malgré les critiques de Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, qui dénoncait alors les «  idées révolutionnaires et anarchistes  », et les attaques des étudiants anticommunistes du campus montréalais de l’Université Laval. Ce lien historique entre l’anarchisme et l’immigration juive au Québec est aujourd’hui oublié.

En février, quelques organisations militantes de Montréal avaient invité Schachaf Polakow, un juif israélien membre du groupe Anarchists against the wall (www.awalls.org), à présenter les actions de solidarité que mène son groupe auprès de Palestiniennes et de Palestiniens, principalement en Cisjordanie. Cet engagement pose la question du rapport entre l’anarchisme et le nationalisme. L’anarchisme est - en principe - contre le nationalisme, un phénomène qu’il associe à l’État, au militarisme et au racisme. Pourtant, au Québec, plusieurs anarchistes ont été - ou sont encore - sympathiques à l’idée de la souveraineté.

Dans le cas du conflit israélo-palestinien, le mouvement anarchiste doit-il être en faveur de la création d’un État-nation palestinien ? Des anarchistes affirment en effet qu’il faut nécessairement être du côté du peuple palestinien, ce qui impliquerait de ne pas critiquer ses dirigeants, ses moyens de lutte et ses objectifs, même la fondation d’un État avec une armée et sa police.

Uri Gordon, qui est un auteur israélien prolifique proche du groupe Anarchists against the wall, reproche aux anarchistes qui avancent de tels arguments de ne pas offrir de prise sur la réalité politique ou de ne pas bien poser le problème. Avec un brin d’ironie, Gordon constate que les élites politiques israéliennes, palestiniennes, ainsi que des États-Unis, s’intéressent peu de savoir si les anarchistes sont pour ou contre la création d’un État palestinien.

Uri Gordon rappelle les faits : il n’y a pas plus que quelques centaines d’anarchistes actifs en Israël, et la manière la plus cohérente d’exprimer une solidarité avec le peuple palestinien n’est pas de s’exprimer sur la pertinence - ou non - de créer un État palestinien ou d’abattre l’État israélien, mais d’agir concrètement avec des Palestiniennes et des Palestiniens qui vivent l’oppression et la violence aux check points, en prison et dans leurs villages. Il y a déjà beaucoup d’initiatives binationales, sous forme d’équipes sportives ou d’activités artistiques, mais elles font l’impasse sur le conflit.

L’approche des anarchistes comme Uri Gordon consiste à s’engager avec des Palestiniens non pas dans le sport ou l’art, mais dans le conflit israélo-palestinien lui-même. En tant que juif israélien, cela implique d’accepter d’être auxiliaire de ces Palestiniens que le conflit touche directement, et d’agir pour les aider sur leur terrain selon leurs besoins. Les films présentés à Montréal par Schachaf Polakow documentaient des actions d’anarchistes qui reconstruisaient des maisons démolies, qui démantelaient des blocages de routes, qui participaient à des manifestations contre des expropriations et des occupations de terres palestiniennes par des soldats israéliens.

Ces actions de solidarité transnationale ne sont pas bien vues en Israël, car elles viennent briser le mythe national des deux peuples ennemis. Pendant que les bombes pleuvaient sur la Palestine il y a quelques mois, ces anarchistes se sont aussi mobilisés dans les rues israéliennes en organisant des manifestations et des vigiles. Les anarchistes israéliens sont alors soumis à leur tour à une répression qui se traduit par des perquisitions et des arrestations. Parfois, les passants attaquent leur vigile en leur lançant des oeufs, ou des pompiers de Tel-Aviv s’arrêtent pour les cibler de leur jet d’eau. Lors de leurs actions conjointes avec des Palestiniennes et des Palestiniens, les anarchistes font régulièrement face à des tirs de balles de caoutchouc, du gaz lacrymogène, et voient leurs alliés mourir sous les balles réelles. Alors, l’anarchisme doit-il se prononcer pour ou contre l’État palestinien ? Selon Uri Gordon, l’anarchisme doit encourager à se poser d’autres questions, et les réponses doivent s’exprimer par des gestes concrets posés envers des individus réels, en marge de l’État ou des projets étatiques.

L’article Anarchisme, nationalisme et nouveaux États, d’Uri Gordon, est disponible sur le site Internet de la revue anarchiste Réfractions.

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