Birahima a douze ans, peut-être. Il décide de « raconter sa vie de merde et de damné » parce que « l’enfant-soldat est le personnage le plus célèbre de cette fin de XXe siècle ». Accompagné de Yacouba le féticheur, gri-griman fortiche et « multiplicateur de billets », Birahima part en quête d’une lointaine tante, seule famille qui lui resterait. C’est à sa recherche, du Libéria au Sierra Leone, qu’il deviendra un « small-soldier » redoutable, affublé d’une « kalash qui fait tralala » et gavé de « hash pour être fort ». Avec les drôles d’expressions de cet enfant-soldat qui nous fait sourire, on peut avaler l’indescriptible violence, l’insoutenable réalité de ces populations marquées par des années et des années de guerres qui déciment leurs pays, leurs vies, et leurs corps ; on comprend quelle est l’horrible réalité de ces 300 000 enfants-soldats dans le monde.
C’est donc un reportage sur l’actualité oubliée des médias, un regard impitoyable de l’intérieur de l’Afrique avec le doigt pointé vers les auteurs de ce « bordel au carré ». Birahima utilisera quatre dictionnaires pour être sûr d’être compris par tous ; « les nègres noirs indigènes sauvages de la brousse » autant que « les toubabs européens colons colonialistes ». Notre narrateur définit ou redéfinit sans cesse les mots pour ajuster la langue à la réalité, pour faire le procès à la fois des dirigeants de « ces pays corrompus et foutus » autant que des puissances occidentales qui vendent les armes, encouragent tel ou tel dictateur, forment et supportent les guérillas, tout ça pour investir dans ces régions devenues des enfers et faire prospérer le diamant ou le pétrole... Ahmadou Kourouma excelle à mélanger le burlesque et le cauchemardesque, le romanesque et l’historique, témoin important et courageux d’une Histoire révoltante, et encore actuelle... malheureusement. Mais Birahima nous précise d’entrée de jeu que le titre définitif et complet de son blablabla est « Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ces choses ici-bas ». Accrochez-vous.