Le nouveau moratoire sur trois stocks de morues dans le golfe du Saint-Laurent et au large de la côte nord-est de Terre-Neuve-et-Labrador annoncé au mois d’avril par le ministre fédéral des Pêches et des Océans, Robert Thibault, a ébranlé les communautés côtières du Québec et de l’Atlantique. Une fois entérinée, cette décision entraînera l’exode des côtes, un chômage de masse et la marginalisation de communautés dont les conditions socio-économiques sont déjà précaires.
Malgré le moratoire mis en place en 1992 pour enrayer la chute dramatique des prises, les spécialistes canadiens, américains et européens de la morue, réunis à Halifax en février, ont estimé qu’« il n’y avait pas de rétablissement des stocks » et ont recommandé la fermeture complète de la pêche pour une période indéterminée.
Plusieurs pêcheurs de la région contestent toutefois le bien-fondé de ces avis. Ils accusent le gouvernement de vouloir éliminer les petits pêcheurs de la région au profit des plus grands acteurs de l’industrie.
La fermeture des régions
Pêcheur de morues et de homards, représentant syndical et membre du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH), Bill Broderick reconnaît que des mesures sont essentielles pour favoriser le rétablissement des stocks de morues. Mais selon lui, la fermeture complète de la pêche ne contribuera en rien au retour du poisson.
« Malgré les coûts sociaux exorbitants du premier moratoire - quelque 40 000 pertes d’emplois au Québec et dans les provinces de l’Atlantique - après 1992, les gens avaient encore espoir d’un jour reprendre la pêche, soutient M. Broderick. Or, le nouveau moratoire, qui menace d’éliminer plus de 4 400 emplois et de retirer quelque 43 millions de dollars à une économie déjà fragile, laisse présager la fermeture complète des régions. »
« L’autre jour, raconte-t-il, un pêcheur du Labrador a brûlé son bateau, son cabanon et son outillage. Et il a dit : "Maintenant, il ne me reste plus qu’à partir pour l’Alberta." »
« Aujourd’hui, la pêche appartient encore aux petites communautés de la région, soupire Broderick. Mais quand les stocks se rétabliront, s’il y a rétablissement d’ici une trentaine d’années, il ne restera plus aucun pêcheur traditionnel et le savoir-faire ne pourra être transmis à une nouvelle génération. À partir de là, les multinationales pourront vidanger les mers librement, sans que quiconque ne s’y oppose. »
Entre science et tradition
Alors que s’affrontent des points de vue divergents sur l’état des stocks de poissons, on constate encore une fois le fossé qui se creuse entre l’avis des scientifiques et le savoir traditionnel des communautés côtières.
« Il y a un énorme problème avec la science », observe Marc Allain, directeur des communications du Conseil canadien des pêcheurs professionnels. « C’est la science qui en premier lieu a mené à l’effondrement des stocks de la morue. Ce sont les scientifiques qui, jusqu’en 1989, et en dépit des avertissements répétés des pêcheurs, ont conseillé les gestionnaires à autoriser une pêche deux fois plus abondante que ne le permettait véritablement la ressource. »
Pour les pêcheurs canadiens, le ministère des Pêches et des Océans a lamentablement échoué à mener à bien ses objectifs. On n’est pas près d’oublier ces années de pillage cautionnées par le gouvernement.
En 1977, afin de contrer la surpêche par une flottille étrangère de plus en plus vorace, le Canada déclarait unilatéralement une zone économique de 200 milles marins (ZEE) au-delà des côtes canadiennes, revendiquant la juridiction sur la plupart des stocks de poissons de la côte atlantique.
Pourtant, plutôt que de se doter d’une politique privilégiant une gestion responsable de la pêche, le gouvernement a préféré investir dans la construction de bateaux plus performants, en vue de rentabiliser l’industrie. Ainsi, malgré la réduction du nombre de vaisseaux étrangers pêchant au large du Canada, la fin des années 70 affichait une augmentation des prises de poissons à l’intérieur de la ZEE canadienne. Cette nouvelle flottille industrielle est en partie responsable des dégâts actuels.
« Où irons-vous ? Qu’allons-nous faire ? », demande Bill Broderick. « Pour l’instant, les gens s’attachent à ce qui leur reste, en espérant que ça va se reconstruire. » Pendant ce temps, la colère gronde sur les côtes.