**Le texte complet des Têtes blanches carré rouge se trouve en pièce jointe à la fin du présent texte.
Nous sommes de divers horizons politiques, culturels et professionnels. Nous avons en commun l’âge et une certaine vision du monde et de la société québécoise à laquelle nous avons contribué de diverses façons dans les dernières décennies. […]
Dès le début, nous nous sommes senti-e-s interpellé-e-s par la lutte étudiante et nous avons appuyé jour après jour cette grève historique parce qu’elle constituait un rappel et un appel à faire du droit à l’éducation un des fondements de notre société.
Nous voulons apporter notre contribution au débat en cours en tant qu’aîné-e-s solidaires des étudiantes et des étudiants et en tant que citoyennes et citoyens préoccupés par le sort des générations à venir.
Notre position
Nous affirmons, d’entrée de jeu, que l’éducation devrait être « gratuite » de la petite enfance à l’université, non seulement au Québec, mais dans toutes les sociétés du monde. C’est la position que nous entendons défendre au sein de la société québécoise, avant, pendant et après consultations et Sommet sur l’enseignement supérieur. Nous savons en effet que cette lutte sera longue, mais qu’il serait irresponsable de ne pas poursuivre dans cette voie hélas trop peu fréquentée que nous ont indiquée une large portion du mouvement étudiant.
Soulignons par ailleurs que la formulation de « gratuité » scolaire que nous utilisons ici ne nous satisfait pas. En effet, cette formulation laisse entendre que l’éducation serait un bien de consommation comme un autre, et « gratis », alors que justement nous contestons cette perspective marchande, consumériste et individualiste. Nous concevons l’éducation comme un droit à faire appliquer maintenant, comme service public auquel tous et toutes devraient avoir accès.
Le mot « gratuité » donne l’impression que personne ne paie rien et que les étudiant-e-s ne font pas « leur juste part »... Or, l’éducation gratuite suppose des ressources financières importantes, mais dont le coût est assumé, au nom d’une solidarité sociale consentie par le biais d’une fiscalité que nous voulons la plus juste et équitable. Ainsi, chaque citoyen et chaque citoyenne contribuent selon ses moyens. Nous préférons donc, dans la mesure du possible parler d’abolition de frais de scolarité ou alors d’accès libre, voire massif, à l’enseignement supérieur, même si l’association entre gratuité et éducation semble devenue inévitable. […]
Contre la hausse et l’indexation
Nous sommes contre ces deux options parce qu’elles renforcent les inégalités sociales. Si la sélection est moins évidente que du temps des « visites paroissiales » de monsieur le curé, elle n’en est pas moins bien réelle. En effet, hausse ou indexation, il s’agit d’une augmentation des frais de scolarité qui aura comme première conséquence une baisse des taux d’accès aux études supérieures, conclusion à laquelle arrivent le Ministère de l’Éducation des Loisirs et la Fondation canadienne des bourses d’études du millénaire. À moins qu’ils soient issus de milieux privilégiés, l’augmentation des coûts en amène plusieurs à abandonner l’idée même de faire des études supérieures.
Dans le meilleur des cas, toujours à moins d’être issu de milieux privilégiés, hausses et indexation accentuent la précarité au plan financier des étudiantes et des étudiants, les forçant à s’endetter et à tenter de concilier travail et études. Or, cette conciliation se fait trop souvent au détriment des études et de nombreuses recherches démontrent que le travail salarié est une des causes de l’échec scolaire et du décrochage. […]
Contre le gel des frais de scolarité
Le gel des frais de scolarité ne représente en rien une solution valable. Rappelons-nous que pour les auteur-e-s du Rapport Parent, le gel devait être une solution temporaire. Or, l’histoire démontre que c’est une solution pour le moins inefficace. Même si les tenants de la hausse ou de l’indexation ont fait valoir que les frais de scolarité n’avaient pas augmenté depuis trop longtemps, ils sont passés de 540 $ en 1990 à 1668 $ en 1994, puis après quelques autres tentatives à 2168 $ en 2012. La nouvelle hausse, bloquée par la grève étudiante devait être de 1625 $ par année. Au Québec, le gel n’a définitivement rien de permanent et chaque printemps, on risque de devoir ressortir pancartes, bannières et carrés rouges ! […]
Pour la gratuité ou l’accès libre et massif à l’enseignement supérieur
Parce que l’éducation est un droit
Une des raisons fondamentales qui nous amène à nous opposer aux trois solutions précédentes et à choisir la gratuité scolaire est une différence non pas d’ordre quantitatif, mais qualitatif. Les trois premières alternatives ont en commun de se situer dans le droit fil de l’idéologie néolibérale selon laquelle la société est d’abord et avant tout un marché où tout doit être objet de commerce, les citoyens étant réduits au rôle de consommateur. Il en va ainsi de l’éducation, comme de la santé ou du logement d’ailleurs, domaines dans lesquels l’intervention de l’État doit être minimale et où s’applique le principe de « l’utilisateur/payeur » selon la formule consacrée. Il suffit d’ailleurs d’inverser les deux termes pour constater ce que cette formule sous-tend et à quel point cela est inique : seuls ceux et celles qui pourront se le payer auront accès aux services publics ! […]
Parce que le savoir n’est pas une marchandise
Sur un autre plan, tout aussi fondamental, la gratuité scolaire de l’enseignement supérieur permettrait de quitter les ornières de l’idéologie néolibérale et sa conception du savoir comme marchandise utile à la réussite individuelle pour développer un rapport au savoir comme patrimoine collectif qui doit servir à développer une conscience sociale et servir le bien commun. […]
Parce que l’éducation est un bien précieux pour les étudiant-e-s et pour l’ensemble de la société
Les avantages de la gratuité scolaire pour les étudiantes et les étudiants vont de soi : fin de l’endettement, et même s’ils devront faire face à l’augmentation du coût de la vie, une précarité moindre, une plus grande liberté de choix de leur parcours académique et de leur orientation professionnelle et un accès libre quelle que soit leur classe sociale d’origine.
L’accès libre à l’enseignement supérieur a aussi des avantages évidents pour l’ensemble de la société : les personnes scolarisées ont les moyens d’être moins dépendantes de l’aide sociale, d’être en meilleure santé, de participer davantage à la vie démocratique et au développement culturel. Que la scolarisation soit un vecteur déterminant de progrès et de cohérence sociale n’est plus à démontrer. « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance », pouvait-on lire sur des pancartes lors du Printemps érable.
Perspective intergénérationnelle et donc d’avenir
Si le passé est important pour nous permettre de mieux saisir cette problématique dans un contexte plus large, notre perspective n’est en rien passéiste, bien au contraire. Nous pensons la problématique de l’accès à l’enseignement supérieur en fonction de l’avenir et de ce qui attend dès maintenant les jeunes générations. Or, nous sommes très préoccupés par le sort qui les attend. Parce que l’histoire récente de l’humanité a démontré que science sans conscience n’est pas que ruine de l’âme, mais ruine tout court, favoriser le développement de cette conscience, celle dont parlent Desjardins ou les responsables d’Argument, devient une nécessité dans le contexte actuel.
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Dans ce contexte, l’accès gratuit et massif à l’enseignement supérieur devient prioritaire. Il faut dès maintenant donner à la jeunesse les moyens de commencer à penser, analyser, comprendre les immenses problèmes auxquels l’humanité sera confrontée, de pouvoir développer un esprit critique face aux idées dominantes pour être en mesure d’agir, de transformer le monde, de le rendre habitable pour toutes et pour tous. L’éducation pour faire société comme nous l’ont si justement rappelé les Profs contre la hausse. C’est un devoir que l’on pourrait qualifier de « moral » pour les générations d’aînées que d’appuyer les jeunes dans leur lutte pour la gratuité scolaire, lutte politique au sens fort du terme, c’est-à-dire qui concerne l’avenir de la société. Le Québec a l’occasion de rejoindre le petit groupe de « sociétés distinctes » qui ont fait ce choix.