Abu Amar

dimanche 28 novembre 2004, par Michel WARSCHAWSKI

Jusqu’à il y a deux ans, j’étais, je crois, le seul Israélien de gauche à n’avoir jamais rencontré Yasser Arafat. Non pas par boycott ou en raison d’une quelconque aversion envers le dirigeant du mouvement national palestinien, mais parce que si j’apprécie les discussions politiques et les réunions avec des militants, je fuis les rencontres protocolaires et les accolades avec les grands de ce monde.

Il y a deux ans, j’ai décidé de rendre visite à Yasser Arafat, enfermé par mon gouvernement dans ce qu’il restait de son quartier général dévasté. Parce qu’une fois de plus, il symbolisait le sort de son peuple tout entier.

Et c’est précisément parce que, plus que tout autre, Yasser Arafat représente le mouvement national palestinien, qu’il est l’objet de la haine des Israéliens et de l’affection qu’éprouve envers lui la grande majorité de son peuple. Car au-delà des critiques, et elles sont nombreuses, sur la gestion naïve des négociations avec Israël, sur l’administration bureaucratique de l’OLP et sur les grands problèmes de corruption dans les finances de l’Autorité nationale palestinienne, il est et restera dans l’histoire et dans le cœur de son peuple le père de la renaissance nationale palestinienne et de la lutte pour la liberté et l’indépendance des Palestiniens.

Certes, Yasser Arafat n’est pas Nelson Mandela et certainement pas Ho Chi Minh, ni même Abdel Nasser ou Ben Bellah. Mais, comme l’écrit cette semaine le militant, sioniste et pratiquant, Yitshak Frankental, du Comité des parents israéliens des victimes, comparé aux politiciens israéliens, c’est un géant : car il a su faire des choix douloureux et s’y accrocher, envers et contre toutes les pressions. À l’époque où les sondages servent de seules boussoles à la majorité des politiciens, où, dans le monde de la diplomatie, la parole donnée n’a plus aucune valeur, Yasser Arafat a su être un dirigeant prêt à prendre ses responsabilités... au risque d’échouer.

Pour les Palestiniens, Yasser Arafat aura eu au moins trois grands mérites : d’abord, et malgré les pressions énormes mises en œuvre et les menaces de le lui faire chèrement payer, Yasser Arafat n’a pas accepté de provoquer une guerre civile entre Palestiniens ; il l’a payé par un boycott international et son enfermement dans la Mouqataa. Ensuite, et là aussi malgré les pressions énormes des puissances impérialistes et les menaces d’Ehoud Barak, il a refusé à Camp David de revoir à la baisse le « compromis historique » décidé par le Conseil national palestinien d’Alger, basé sur les résolutions de l’ONU. Finalement, il a été un exemple de laïcité, défendant une vision de l’État palestinien où puisse se réaliser une véritable coexistence entre hommes et femmes de confessions différentes, ce qui est loin d’être évident dans le monde arabe actuel.

Pour les Israéliens, il aura été celui qui, sur la base d’un compromis extrêmement généreux et d’une véritable volonté de réconciliation - qui, pour beaucoup, était déjà une compromission -, leur offrait une légitimité nationale et la possibilité d’une souveraineté dans le monde arabe. L’immense majorité des Israéliens a été incapable de le comprendre. Un jour, ils le regretteront. Espérons que ce ne soit pas trop tard.


L’auteur, journaliste et écrivain israélien, est un militant de la première heure pour la paix en Israël et Palestine. Il est le fondateur du Alternative Information Center (AIC).

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