À qui profitent les semences transgéniques ?

dimanche 23 novembre 2003, par Alex HILL

Une récente étude du gouvernement britannique démontre que l’utilisation de semences génétiquement modifiées (GM) engendre une sérieuse dégradation de la biodiversité. Un peu partout au Canada, des scientifiques, agriculteurs et groupes écologiques reprochent au gouvernement fédéral d’approuver leur utilisation, alors qu’aucune étude sérieuse n’a été menée sur les conséquences d’une telle pratique pour l’environnement.

Selon le New Scientist Journal, les résultats de « la plus grande enquête jamais réalisée sur les cultures GM démontrent que deux des trois cultures étudiées ont un impact beaucoup plus négatif sur la faune des champs que les cultures traditionnelles ». Ces semences sont modifiées génétiquement pour résister à un type de pesticide en particulier (développé par la même compagnie qui produit la semence). L’étude britannique démontre que l’utilisation croissante des produits chimiques, associés aux cultures transgéniques, cause de sérieux dommages aux écosystèmes. On observe, entre autres, une diminution de la diversité des espèces locales, importantes pour la pollinisation des plantes et la fertilité du sol. C’est le cas des abeilles et des papillons, par exemple.

Alors qu’elles sont interdites à des fins commerciales en Grande-Bretagne, les cultures transgéniques sont autorisées au Canada. C’est l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) qui est responsable d’encadrer leur utilisation. Selon la réglementation en vigueur, les risques potentiels sur l’environnement doivent être évalués avant de permettre l’autorisation de nouvelles semences. Interrogé sur les impacts de l’étude britannique sur les mécanismes d’approbation des OGM au Canada, Bart Bilmer, porte-parole pour l’ACIA, répond d’un même souffle qu’à l’Agence canadienne, ce type d’études n’est pas réalisé, mais que néanmoins, les conclusions de l’étude britannique ne sont pas nouvelles pour eux.

Au Canada, peu d’études sont donc requises avant l’approbation des semences transgéniques. C’est d’ailleurs l’un des principaux enjeux du débat actuel. Ann Clark, professeure au département d’Agriculture de l’Université de Guelph en Ontario, explique que « toutes les données sur les semences transgéniques proviennent de leur propriétaire […]. Aucune validation ou expérimentation n’est menée par le gouvernement canadien. » Ces tests sont laissés généralement à la discrétion du propriétaire, précise la professeure, qui ajoute que « les préalables sont si élémentaires […] qu’aucune requête concernant l’utilisation de semences transgéniques n’a été rejetée au Canada. » Présentement, 60 % du canola produit au Canada provient de semences génétiquement modifiées.

De plus, Agriculture Canada subventionne, avec la multinationale Monsanto, le développement d’une semence de blé transgénique. Cette dernière est sur le point d’être approuvée même s’il a été démontré qu’elle encourage le développement d’une espèce particulière de champignon, nocif pour l’environnement.

Conflit d’intérêts

Le faible protocole gouvernemental entourant l’approbation des semences s’explique, selon plusieurs groupes opposés à cette pratique, par un conflit d’intérêts évident. Ottawa n’est pas seulement responsable de la réglementation des semences, mais joue aussi un rôle important dans leur développement. Depuis 1999, le gouvernement fédéral a dépensé 10 millions de dollars en campagnes d’éducation publique, pour faire la promotion des bénéfices économiques engendrés par ces cultures.

Pour sa part, Bradford Duplisea, chercheur indépendant basé à Ottawa, étudie le lien entre les réglementations gouvernementales et le financement des cultures transgéniques. Pour lui, le lien, entre les mesures d’encadrement trop souples et les efforts pour développer et promouvoir les semences transgéniques, est clair. « La promotion et la réglementation de l’industrie doivent être assurées par deux entités indépendantes […], insiste-t-il. La réglementation doit être faite dans l’intérêt du public, et non dans l’intérêt de ceux que l’on réglemente. »

Selon les grandes compagnies de production et de distribution de cultures GM (telles que Monsanto, Syngenta et Avendis), l’utilisation de leurs semences augmente considérablement le rendement et le profit des fermes tout en limitant l’épandage de pesticides à un unique produit. Mais puisque ces cultures résistent à un seul type de pesticide, la résistance des mauvaises herbes envers ce produit chimique augmente. Les agriculteurs sont donc obligés d’utiliser une plus grande quantité d’herbicide, puisqu’ils ne peuvent plus avoir recours à une combinaison de produits.

Selon l’Union des producteurs agricoles de Saskatchewan, plusieurs agriculteurs remettent en question les bénéfices économiques des semences GM. Si entre 1974 et 2000 le revenu brut des fermes a triplé, leur revenu net a quant à lui chuté, principalement en raison de l’augmentation des dépenses en engrais, pesticides et semences high tech, tous achetés auprès des mêmes compagnies.

Sortez vos étiquettes

Enfin, l’étiquetage de produits contenant des OGM est souvent présenté comme une façon pour les consommateurs de supporter les agriculteurs qui n’utilisent pas de semences GM. Et selon les sondages, près de 95 % des Canadiens appuient cette pratique. Pourtant, Ottawa continue de bloquer plusieurs démarches allant en ce sens. Lors de la dernière campagne électorale au Québec, Jean Charest a pour sa part promis de rendre obligatoire l’étiquetage des OGM, mais nombreux sont ceux qui craignent de voir cette promesse reléguée aux oubliettes.

« Lorsqu’on constate le peu de volonté de la part de nos gouvernements, tant à Québec qu’à Ottawa, de faire face à ce problème, on se demande pour quels intérêts ils agissent ? », s’inquiète Bradford Duplisea. Mais pour le chercheur, cette fois, cette nouvelle preuve scientifique confirmant l’impact négatif des semences transgéniques sur la biodiversité des écosystèmes sera difficile à ignorer.

Alex Hill


L’auteur est chargé de projets en environnement à Alternatives.

Bas de vignette photo : Au Canada, plus du tiers des plants de maïs cultivés sont génétiquement modifiés.

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