« À personne. Nous le protégeons pour les générations futures. »

À cinq heures de Montréal, au bord de la route 117 dans le Parc de la Vérendrye, les Algonquins du Lac Barrière nous proposent une manière différente de voir la cohabitation et notre rapport à l’environnement. À leur invitation, plusieurs représentants de groupes communautaires et syndicaux les ont rencontrés cet été.

Pendant deux jours, Michel Thusky, un aîné du Lac Barrière, nous a raconté sa vie d’un ton posé, sans colère, mais parfois avec beaucoup d’émotion. Perte du territoire traditionnel, sédentarisation forcée, placement dans des écoles résidentielles, son histoire est étroitement liée à celle de sa communauté.

Pourtant, toujours debout, les Algonquins du Lac Barrière, le peuple du barrage de pierre, continuent de résister afin de laisser aux générations futures la possibilité de vivre en harmonie avec la nature. En visitant le territoire, nous avons vu de nos yeux que leurs droits ne sont pas opposés aux nôtres. Ils luttent, en fait, pour les intérêts de tout le monde.

Une vision différente

Comme plusieurs autres nations autochtones, la vision qu’ont les Algonquins de l’occupation et de la gestion du territoire est fort différente de celle qui est généralement la nôtre. « La terre n’appartient à personne, tous peuvent l’occuper en la respectant et en s’assurant de la pérennité de ses ressources », nous a affirmé Michel Thusky. Mais nos gouvernements voient ce même territoire non pas comme un précieux écosystème à respecter, mais comme un bien à dilapider.
Dans le passé, les Algonquins ont vu leurs habitations détruites par les compagnies forestières. Ils ont été témoins de l’empoisonnement des animaux par les pesticides répandus par ces mêmes compagnies. Exploitation forestière, barrage hydroélectrique et activités de chasse et pêche sur ce territoire génèrent 100 millions de dollars chaque année. Pourtant, les Algonquins n’en retirent aucun bénéfice, aucun emploi, et n’ont pas leur mot à dire sur la question.

Une entente bafouée

Après plusieurs années d’actions pacifiques, les Algonquins signaient en 1991 une entente trilatérale avec les gouvernements fédéral et provincial. Celle-ci prévoyait qu’ils auraient une voix décisive sur l’utilisation des 10 000 km2 de leur territoire traditionnel. Aux fins de l’entente, les Algonquins ont cartographié chaque endroit qui a une signification particulière pour la communauté. Ici les cimetières où reposent les ancêtres, là les herbes médicinales que l’on ne retrouve pas ailleurs, là encore les tanières des loups, plus loin l’habitat des orignaux.

Sont aussi indiquées sur la carte, les zones dites d’harmonisation, où les papetières peuvent couper la forêt après avoir consulté les Algonquins. Car ceux-ci veulent bien qu’on exploite le territoire mais avec le souci d’un certain équilibre pour permettre à la ressource de se régénérer et à leur nation de s’épanouir. Mais, rapidement, l’entente n’est pas respectée. Les conséquences, on s’en doute, sont néfastes pour les zones qui avaient été identifiées comme sensibles.

Nous avons visité un territoire dévasté, traversé par d’innombrables chemins pour permettre le transport du bois. Nous avons vu d’immenses espaces coupés à blanc où rien ne peut survivre. Ni l’endroit où nichent les aigles, ni les sites historiques ou sacrés ne sont épargnés. Des zones fragiles, derniers vestiges d’une faune et d’une flore autrefois abondantes, ont été détruites.

Ce qui nous apparaît comme un modèle de gestion responsable du territoire, où les besoins des uns et des autres sont pris en compte, ne peut pas être mis en place parce que les gouvernements, et les entreprises présentes sur le territoire, ne respectent pas l’entente trilatérale.

De nouveaux éléments menacent l’intégrité du territoire des Algonquins. La papetière Lousiana Pacific veut faire de l’exploitation forestière dans le secteur sud-ouest du territoire. La minière Copper One, quant à elle, projette d’explorer bientôt une immense zone de 80 kilomètres de long afin d’évaluer son potentiel en cuivre. Ces travaux de forage n’ont pas l’aval de la communauté. « Nous nous y opposons catégoriquement », nous a affirmé Michel Thusky.

Toujours debout

Malgré les embûches, les Algonquins du Lac Barrière ne baissent pas les bras. La plupart pourtant sont sous le coup d’une injonction et sont menacés d’emprisonnement. Par trois fois au cours des vingt dernières années, leur conseil de bande, trop revendicateur, a été révoqué par le gouvernement fédéral. Coupure d’électricité pendant de longs mois, arrêt ou coupure du soutien financier, arrestations, rien n’y fait. Ils continuent de lutter.

C’est une question de survie pour eux, mais c’est aussi un enjeu crucial pour nous les non-autochtones. Que deviendrait notre environnement sans forêt, sans animaux, sans eau non polluée ? La lutte des Algonquins du Lac Barrière devrait aussi être la nôtre. Car sans une gestion intelligente et sensible des ressources, il n’y a pas davantage d’avenir pour nos enfants que pour les leurs.

Geneviève Beaudet, André Frappier, André Richer de Québec Solidaire
Michèle Benoit, Carole Boucher, Stéphan Corriveau du Regroupement de Solidarité avec les Autochtones
Nathalie Guay de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Diane Mitchell et Mike Palecek du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes
Steve Baird et Pei-Ju Wang du Collectif de solidarité Lac Barrière
Martin Lukacs, The Guardian
Aurore Fauret, Mario Otis et Arij Riahi


Voir en ligne : Solidarité Lac Barrière


Crédit photo : Arij Riahi

À propos de Michèle Benoit

Regroupement de Solidarité avec les Autochtones

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Québec Solidaire

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Confédération des syndicats nationaux (CSN)

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Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

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