Le Festival Fringe de Montréal, qui existe depuis 1991, est fier de ses origines rebelles. Issu d’un des festivals qui ont essaimé aux quatre coins du monde, le Fringe présente des spectacles souvent audacieux, parfois osés et, à l’occasion, totalement déconcertants. Performances, danse moderne, monologue, théâtre expérimental, le public du Fringe a tout vu. Pas de censure. Pas de contrôle. La scène est ouverte à tous les artistes, moyennant une contribution. C’est la règle Fringe. Pour y participer, un artiste doit payer 600 dollars. Après quoi, il lui revient de vendre les billets, autant qu’il le veut, à condition que le prix du billet ne dépasse pas neuf dollars.
Cette année, avec un budget de 200 000 dollars, le festival a réussi à produire 700 spectacles. Les organisateurs affirment qu’ils ont pu redonner environ 100 000 dollars aux artistes participants. Mais tout cela ne va pas sans mal. Le caractère imprévisible de la programmation fait peur à certains commanditaires. En fait, l’absence de contrôle sur le contenu rend difficile la conciliation avec les intérêts de beaucoup de commanditaires, qui craignent qu’un éventuel dérapage ne nuise à leur image.
Qu’à cela ne tienne. Malgré le manque chronique de financement, les organisateurs du festival jurent qu’ils ne laisseront pas les commanditaires dicter le contenu de leur événement. Qu’il s’agisse de la multinationale Pepsi ou d’un petit embouteilleur local, le Fringe affirme qu’ils devront vider les lieux si leurs intérêts entrent en conflit avec les valeurs du festival. Cette année, en échange d’une petite contribution financière, une compagnie de téléphonie a exigé de placer son camion promotionnel devant l’une des principales tentes à bières de l’événement. La compagnie a même dépêché sur les lieux son propre DJ. Peine perdue. On lui aurait rapidement indiqué le chemin de la sortie.
Le financement n’est pas plus facile à recueillir du côté des institutions publiques, même si le festival a réussi à attirer pas moins de 55 000 visiteurs cette année. « Nous n’avons aucune politique artistique et n’exerçons aucune censure, rappelle Patrick Goddard, coordonnateur du Fringe . Comme il n’y a pas de garantie de qualité, les institutions publiques sont moins enclines à s’impliquer généreusement. C’est pour cette raison que le Festival Fringe compte sur toute une armée de bénévoles. Nous ne sommes pas là pour vendre un produit dont notre public ne veut pas. Et nous n’allons surtout pas changer notre festival pour attirer un commanditaire. »
À l’ombre des grands
Au Québec, les intérêts des grands festivals sont défendus par le Rassemblement des événements majeurs internationaux (RÉMI). L’adhésion à ce club sélect garantit un lobby auprès des grandes institutions publiques. Mais pour en faire partie, il faut avoir disposé d’un budget de dépenses d’au moins un million de dollars au cours des deux dernières années.
Les petits événements doivent souvent se débrouiller seuls. Ce qui fait dire à Martin Têtu, directeur général du Festival Off de Québec, qui se tient du 10 au 14 juillet, qu’il faudrait qu’une organisation défende les intérêts des petits festivals. Mais qui payerait la facture ? Dans le cas du Festival Off, environ 80 % des spectacles sont présentés gratuitement. Contrairement au Fringe de Montréal, il y a donc peu de financement à espérer du côté de la billetterie. Le Festival Off doit s’en remettre aux petits commanditaires et au public.
Normal. Au Québec, les festivals ne naissent pas tous égaux. Pour reprendre l’expression consacrée, certains sont plus égaux que les autres.